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Priedegten 2023  
10 mai 2023

Sous la croix

Homélie de Renée Schmit du 10 mai 2023

Évangile de Jésus-Christ selon saint Jean (Jn 19,25-27)

Près de la croix de Jésus se tenaient sa mère et la sœur de sa mère, Marie, femme de Cléophas, et Marie Madeleine. Jésus, voyant sa mère, et près d’elle le disciple qu’il aimait, dit à sa mère : « Femme, voici ton fils. »

Puis il dit au disciple : « Voici ta mère. » Et à partir de cette heure-là, le disciple la prit chez lui.


Monsieur le Cardinal,
Chers amis dans le Seigneur,

Alors qu’en 1990, je faisais un stage comme étudiante à la Clinique Sacré-Cœur jadis au Belair pendant mes vacances académiques, sœur Marguerite, un beau matin après la pause, m’a prise au dépourvu. Dans une des chambres du 3e étage, un homme venait de mourir et je devais accompagner la famille. Sans avertissement ni préparatifs, je me suis lancée, n’ayant pas vu de mort jusqu’à cette heure. La porte de la chambre s’ouvra et je voyais une femme âgée assise en pleurs près du lit funéraire de son mari. Quel silence, quelles émotions. Au cours d’un temps qui me rappela l’éternité, la vieille femme raconta toute la vie de son mari et la vie de leur couple en essayant de redonner vie au défunt par des gestes d’affection. Tant de pensées me passaient par la tête et traversaient mon cœur, mais je comprenais intuitivement que je n’étais à ma place que pour récolter des souvenirs précieux et demeurer avec cette femme.

Sous la croix. Combien de fois n’avons-nous pas déjà été à cet endroit, au moment de la mort d’une personne aimée, lors des funérailles publiques, au dernier adieu quand les paroles et les chants sont restés comme étranglés au fond de la gorge, au moment où maman ou papa sont partis après une longue maladie, à la mort subite d’un enfant ou quand une personne jeune a été arrachée à la vie, quand des artistes talentueux ont été arrachés et que les orgues sont restées muettes du jour au lendemain et je pourrais continuer avec tant d’exemples.

Chers pèlerins, la mort vient toujours trop inattendue, et parfois, les personnes qui restent ont l’impression qu’elle est tellement injuste envers elles. Notre société a tendance à refouler le sujet et dans des débats, les questions ultimes de la vie ont peu de place. Ce qui compte, c’est la vie ici et maintenant.

En tant que chrétiens, nous sommes attachés à la vie, mais nous savons que la mort fait partie du chemin. L’évangile de l’Octave nous confronte avec la croix de Jésus. Golgotha est le lieu de la crucifixion, situé en dehors de la ville, un lieu de punition et de condamnation. C’est là que Jésus a abouti. Lui, le rabbi de Nazareth, sur qui ils avaient mis tant d’espérance. Voilà pourquoi il n’est pas étonnant qu’au moment de sa mort, ce ne sont que les plus proches qui l’accompagnent.

Il y a tout d’abord son disciple préféré, celui qui intentionnellement n’est pas nommé ; ensuite sa maman, Marie et la femme de Klopas, probablement une veuve, qui faisait sans doute partie de la famille ; et puis Marie de Magdala, la pécheresse publique, considérée par les autres comme indigne de suivre le Christ, femme à qui il avait révélé un nouveau sens de la vie.

La croix les a rassemblés et ils regardent vers celui qui est cloué sur le supplice de la croix. C’est le début d’un petit noyau de communauté en mémoire de Jésus, qui grandira dans la force de l’Esprit Saint.

Ils ont tous des parcours différents, mais ils sont unis par Jésus : le disciple, la mère, la sœur, la veuve, la pécheresse.

Il est visible que parmi ceux qui restent fidèle jusqu’au bout, il y a un bon nombre de femmes. Des femmes et des mères qui sont habituées à porter la vie et la douleur. Mais il y a aussi le disciple bien-aimé, dans lequel nous pouvons nous reconnaître et qui a reposé son oreille sur le cœur du Christ qui est présent. Maintenant son propre cœur est déchiré sous la croix.

Et voilà une chose de surprenant. Jésus regarde une dernière fois sa mère et lui dit : « Femme, voici ton fils ! » et il se tourne vers le disciple pour lui dire : « Voici ta mère ! » Les paroles ultimes d’un mourant nous marquent. Elles sont précieuses. En cette heure ultime, Jésus établi la communion entre la mère et le disciple. Parce que le disciple peut porter aussi notre nom, voilà pourquoi la mère de Dieu nous est confiée aussi et nous sommes confiés à elle. « Et à partir de cette heure-là, le disciple la prit chez lui. » Un bon nombre d’exégète traduisent cette attitude de Jésus par le fait de prendre Marie « dans son intimité ». Bien sûr, il s’agit bien plus que de lui donner une demeure extérieure, mais d’un lien de communion sacré, à partir duquel l’Église vit et existe. Ce sont des paroles vitales, car elles donnent naissance à une vie nouvelle. La mort du Christ est en même temps le jour de la naissance de l’Église.

Chers tous,

Sous le regard de la croix, nos vies changent. De même, une petite Église confrontée à la croix de son Seigneur. Au moment où tant de choses vont mourir : le nombre de pratiquants et de fidèles, les inscriptions pour la catéchèse surtout après la communion, la désacralisation de certaines de nos églises et chapelles. Nous ne pouvons plus refouler la mort.

Peut-être nous faisons alors la même expérience que la femme âgée près du lit de mort de son époux – elle qui voulait le ressusciter a dû apprendre de lâcher prise pour enterrer ce qui est déjà mort.

Nous ne pouvons/devons pas ressusciter les morts dans notre Église. Nous devons avoir le courage d’enterrer ce qui n’existe plus ou ce qui bouge à peine. L’Évangile et notre foi nous disent que le Christ ne laissera pas mourir son Église. De la mort, il y aura une Vie nouvelle. Dans cette perspective, Jésus confie le disciple à sa mère parce qu’il a un projet de vie pour eux. Le disciple devient un signe d’espérance et de consolation pour elle et le disciple deviendra pour Marie le cœur généreux qui l‘accueille.

Chers amis dans le Seigneur,

Dans tout cela, j’ai dû penser spontanément au philosophe et écrivain athée, Éric-Emmanuel Schmitt. Il a grandi dans une ambiance athée et s’est laissé embarquer par le Vatican dans un pèlerinage traditionnel en Terre Sainte. À Jérusalem, sur le chemin du Golgotha, il fait une expérience mystique de la présence du Christ.

Dans son dernier livre Le défi de Jérusalem [1], il nous livre son témoignage. Après une audience privée chez le Pape François à ce propos, il parle de cette expérience dans les médias : « Cette expérience me donne confiance dans l’amour, dans la vie à partager aux autres […] Il ne faut pas essayer de résoudre le mystère, mais il faut le fréquenter. »

N’est-ce pas cela que nous sommes appelés à vivre : La confiance dans la vie là où le Seigneur nous attend pour partager cette vie avec d’autres et « ne pas essayer de résoudre le mystère, mais à le fréquenter ».

C’est ce que Marie et le disciple ont fait. Par les paroles de Jésus, Marie est devenue un signe d’espérance et de consolation pour le disciple et le disciple est devenu le cœur qui accueille Marie. Amen.

(traduit du luxembourgeois)


[1Éric-Emmanuel Schmitt, Le défi de Jérusalem, Albin Michel, 2023.

 
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