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Priedegten 2023  
3 mai 2023

Ils n’ont plus de vin

Homélie de Renée Schmit du 3 mai 2023

Évangile de Jésus-Christ selon saint Jean (Jn 2,1-11)

Le troisième jour, il y eut un mariage à Cana de Galilée. La mère de Jésus était là. Jésus aussi avait été invité au mariage avec ses disciples.

Or, on manqua de vin. La mère de Jésus lui dit : « Ils n’ont pas de vin. » Jésus lui répond : « Femme, que me veux-tu ? Mon heure n’est pas encore venue. » Sa mère dit à ceux qui servaient : « Tout ce qu’il vous dira, faites-le. »

Or, il y avait là six jarres de pierre pour les purifications rituelles des Juifs ; chacune contenait deux à trois mesures, (c’est-à-dire environ cent litres). Jésus dit à ceux qui servaient : « Remplissez d’eau les jarres. » Et ils les remplirent jusqu’au bord. Il leur dit : « Maintenant, puisez, et portez-en au maître du repas. » Ils lui en portèrent.

Et celui-ci goûta l’eau changée en vin. Il ne savait pas d’où venait ce vin, mais ceux qui servaient le savaient bien, eux qui avaient puisé l’eau. Alors le maître du repas appelle le marié et lui dit : « Tout le monde sert le bon vin en premier et, lorsque les gens ont bien bu, on apporte le moins bon. Mais toi, tu as gardé le bon vin jusqu’à maintenant. »

Tel fut le commencement des signes que Jésus accomplit. C’était à Cana de Galilée. Il manifesta sa gloire, et ses disciples crurent en lui.


Chers ami(e)s dans le Seigneur,

« Le Luxembourg, triste “champion” de l’Overshoot Day » – Voilà le titre d’un article publié au jour de la Saint-Valentin dans un journal de business au Luxembourg [1]. C’est bien en ce jour que les résultats du Global Footprint Network furent publiés. D’après ces statistiques internationales, le Luxembourg se trouve désormais directement après le Qatar, avant le Canada, les Émirats Arabes et les USA. Au Luxembourg un nouveau record mondial a été battu à la mi-février, car toutes nos ressources avaient déjà été consommées théoriquement pour 2023. En conséquence : une note insuffisante pour notre empreinte écologique. Si tout le monde aimait vivre comme les luxembourgeois avec leurs habitudes de consommation, on aurait besoin de 8,1 planètes ! Scandale !

Mais qu’est-ce que les noces de Cana ont à voir avec l’Overshoot Day ? Apparemment les invités aux noces de l’évangile ont bu aussi plus de vin qu’il n’y en avait dans la cave. Or, qu’est-ce qu’un mariage sans vin ?

Regardons une fois de plus le texte biblique [2]. Cana est un petit village au nord de Nazareth. À l’époque de Jésus, beaucoup de « petites gens » y habitaient. Il est fort probable que les mariés faisaient partie de la famille de Marie. Nous supposons au moins qu’ils se connaissaient et se fréquentaient. À cette époque, se marier était un évènement-clé qui engageait de nombreuses personnes au cours de plusieurs jours. L’hospitalité avait une priorité absolue. Mais que faire quand le vin commence à manquer ?

Marie est la première à réagir avec justesse à la situation dramatique. En quête de solution rapide, mais de façon subsidiaire, elle s’adresse à son fils Jésus : « Ils n’ont plus de vin ! » Serait-ce une réaction typiquement mariale ? Je crois que nous pouvons en apprendre quelque chose. Intervenir, oui, mais ne pas vouloir faire tout de suite, tout seul, « au risque » de vivre un moment d’immobilité.

Au cours de mes engagements pastoraux, j’en ai plus d’une fois fait l’expérience. C’est dans des moments de crise que les hommes et les femmes développent des réactions divergentes. Les femmes aimeraient parler du problème et trouver tout de suite une solution, alors que les hommes auront plutôt tendance à se dérober, bien qu’ils eussent perçu les difficultés.

Aux noces de Cana, ce n’est donc pas un hasard qu’une femme prend à cœur le problème au cœur d’une ambiance festive. C’est ainsi que Marie fait appel à son Fils Jésus. Mais Jésus est plutôt réticent envers sa propre mère « Femme, que me veux-tu ? » ou comme l’exprime la traduction littérale « Qu’y a-t-il entre toi et moi, femme ? » [3] Jésus ne veut pas être déterminé ou contrôlé par sa mère, ni par autrui. Tout à fait libre, il met l’accent sur le fait que son heure n’est pas encore venue, et signifie par-là que l’heure de sa mort sur la croix n’est pas encore proche. Marie entend son fils et se rend auprès des serviteurs de la noce : « Tout ce qu’il [Jésus] vous dira, faites-le. » Une réaction inhabituelle, sans entamer de grandes discussions. Une démission vis-à-vis du problème ? Une soumission de la part d’une femme. Marie sait très bien que Jésus mènera la situation délicate à bon port. Elle vit pleinement dans la confiance par rapport à son fils. Voilà pourquoi elle sait attendre et écouter. L’écouter active est souvent essentielle au cœur d’une crise.

Mais restons encore un moment sur la symbolique du mariage. Il s’agit d’une vieille métaphore, que nous retrouvons plus d’une fois dans l’Écriture Sainte par rapport à l’Alliance d’amour engagée entre Yahvé et le peuple d’Israël. La même image nous la retrouvons au Nouveau Testament, comme aux noces de Cana. Et même, le Concile Vatican II utilise cette image pour parler de l’Église. Dans une rencontre avec Mgr Rouet, ancien évêque de Poitiers, il nous a révélé que cette image est plus fréquemment utilisée dans les textes conciliaires que l’image du peuple de Dieu. Chose étonnante !

Le sociologue et théologien tchèque Tomáš Halík, ancien dissident politique à l’époque communiste, a attiré à son tour l’attention sur l’image des noces lors d’une conférence donnée récemment à Luxembourg [4]. Selon lui, l’Église a conclu, lors du Concile Vatican II, un « contrat de mariage », en promettant de se mettre au service des hommes et des femmes de notre temps à travers des attitudes vécues dans l’amour, le respect, la fidélité, la solidarité et l’ouverture… Église serait celle qui s’engage à partager les joies et les espérances, les soucis et les angoisses des hommes et des femmes de son temps , une Église non pas enfermée dans son passé ecclésial si brillant qu’il ait été et une Église qui ne s’arrête pas non plus aux lamentations devant les problèmes. Plus de 50 ans après la publication de Gaudium et Spes, il est bon de se demander où nous en sommes concernant cette promesse d’alliance nuptiale et comment l’Église à l’heure actuelle peut rester fidèle à ces engagements pris.

Dans son livre Die Zeit der leeren Kirchen (Le temps des églises vides) [5], que T. Halík a écrit dans l’ambiance du confinement, il invite à une Église en sortie et dit : « Il me semble que les mesures par lesquelles l’Église, dans notre partie du monde, se propose de freiner le processus de la sécularisation avec une diminution constante de croyants – un regroupement paroissial, une importation de prêtres de l’étranger –, nous ne cessons que de rien glisser des chaises à bord du Titanic » [6].

À l’époque de la fête sur le Titanic, les gens continuaient aussi à festoyer sans se rendre compte que la situation était dramatique. Et de nos jours ? Qu’en est-il d’une vraie prise de conscience des réalités ? Qu’en est-il d’un Overshoot Day ecclésial où les ressources matérielles et spirituelles n’y sont plus ? Qu’est-ce que nous entreprenons à notre niveau pour y remédier ? Après la pandémie, il est inadmissible de tourner seulement une page dans l’histoire pour faire comme avant et en sonnant les cloches afin que les gens reviennent enfin.

La sécularisation pose l’Église catholique à Luxembourg devant de nouveaux défis pour évoluer vers une Église en dialogue avec la société et les autres religions. L’athéisme et l’indifférence semblent être les nouvelles religions en progrès selon les statistiques récentes [7]. Même si les gens se disent encore religieux, leur vraie recherche s’est déplacée depuis un certain temps déjà à l’extérieur de note Église. Cette évolution rapide touche non seulement l’Europe occidentale, mais aussi des pays catholiques comme la Pologne et l’Amérique. Nous sommes en train d’évoluer vers une Église minoritaire. Nous sommes déjà minoritaires. Cependant, même une petite Église pourra jouer un rôle important et décisif. Que de fois des minorités ont fait basculer tout un système. Mais cela ne devient que possible si nous puisons des forces neuves en profondeur.

Mais revenons encore une fois à l’évangile. Aux noces de Cana, il est question de six jarres de pierre, capables de contenir 600 litres. Jésus ordonna aux serviteurs de les remplir avec cette eau toute simple pour les porter au responsable de la fête. Ils obéissent. Et que s’est-il en devient ? L’eau toute banale devient du vin délicieux. Voilà le premier signe d’espérance accompli par Jésus.

Par cela le Seigneur nous dit que le miracle dépend de Lui et qu’il faut lui confier notre humble quotidien. Cependant, Jésus n’est pas un manager ou un magicien extraterrestre. Il est l’Époux des Noces préoccupé de son Église comme d’une communauté nuptiale. Alors pour nous. Où sont les lieux pour offrir à Jésus notre eau ordinaire pour qu’il puisse en faire quelque chose de meilleur ?

Une première piste pourra être la prière quotidienne, un temps si court soit-il pour Lui offrir notre journée. Pourquoi ne pas recourir à une app comme « Prie en chemin » ou « Click to pray » pour nourrir ce moment. Faire silence est une attitude indispensable que beaucoup de personnes cherchent entre temps en dehors de nos églises. Le silence est d’une importance vitale pour se régénérer. Pour le chrétien, c’est un lieu d’écoute de la Parole pour découvrir avec Dieu que le quotidien si banal qu’il soit peut devenir un lieu d’espérance pour nous et pour tous ceux qui nous entourent.

Une deuxième piste pourrait être celle d’élargir la table de notre tente église bien installée, de commencer à lire l’Évangile dominical ensemble, partager et de vivre la solidarité comme au cœur des premières petites églises domestiques [8], sur lesquelles je reviendrai encore à un autre jour.

Quelle erreur de penser que l’évêque et les siens devraient être de ceux qui fournissent le vin nouveau ! Pour remplir les jarres, nous sommes tous sollicités : clercs et laïcs, théologiennes et théologiens professionnels, hommes et femmes, religieuses et religieux, personnes de tous les âges et de toutes les langues et cultures.

Durant les noces de Cana, Marie a été celle qui était attentive aux ressources disponibles. Elle a confié sa cause à l’action de Jésus. Faisons de même et tenons notre promesse nuptiale d’une Église au service qui sait attendre le meilleur de son Époux, le Christ. Amen.

(traduit du luxembourgeois)


[1Pierre Pailler, „Le Luxembourg, triste « champion » de l’Overshoot Day“, in Paperjam, 14.02.2023 ; https://paperjam.lu/article/14-fevrier-overshoot-day-trop- (21.04.2023).

[2Jn 2,1-11.

[3Yves-Marie Blanchard, Marie des Écritures, Salvator, 2021.

[4Tomáš Halík, „Kirche vor der Notwendigkeit einer « neuen Reformation »“, conférence le 23 mars 2023, Luxembourg (Ciné-Cité).

[5Tomáš Halík, Die Zeit der leeren Kirchen. Von der Krise zur Vertiefung des Glaubens, trad. en allemand par Markéta Barth, Herder, 2021 (Le temps des églises vides ; notre traduction).

[6Ibid., p. 98.

[7STATEC, Religiosité et spiritualité au Luxembourg, 27 mars 2023.

[8Marie-Françoise Baslez, L’Église à la maison. Histoire des premières communautés chrétiennes. Ier-IIIe siècle, Salvator, 2021.

 
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