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Essais sur la vérité  
12 juillet 2013

II. Vérité de la foi chrétienne en Dieu

Texte intégral

 Bernard Baudelet

Je ne doute pas de votre foi en Dieu. Je sais qu’elle est enracinée dans une méditation approfondie des textes fondateurs de la Bible, par les témoignages des saints et des autres qui ont gouté aux délices de cet émerveillement d’être aimé par Dieu, un Dieu personnel. Je vous ai découvert en paix. Je n’aurais jamais accepté d’échanger en regards croisés avec vous si j’avais craint de pouvoir vous ébranler dans vos convictions. Ceci nous permettra de pouvoir mettre en lumière nos divergences en toute authenticité sans risquer de déstabiliser l’autre et de le faire souffrir, même en toute amitié dans le respect de nos chemins de vie. Ami(e)s lectrices et lecteurs, il n’y aura pas de pugilat, ni vainqueur, ni vaincu, mais deux personnes dont l’amitié a grandi au fur et à mesure de nos échanges. Et puis, vous pourrez le noter, de nombreuses convergences se sont faites jour, à découvrir au fil de cette série d’essais sur la vérité.

 Mathias Schiltz

Cher Bernard, merci de rassurer nos lecteurs. Je ne puis, quant à moi, que confirmer l’atmosphère d’estime et d’ouverture réciproques qui a caractérisé nos échanges depuis les journées de réflexion et de silence partagé que nous avons vécues ensemble à l’Abbaye de Clervaux en octobre 2012. Et il est pertinemment vrai que notre amitié n’a fait que grandir depuis lors, dans le respect mutuel de nos différences. À une époque où l’on n’aime que trop opposer les certitudes des sciences aux incertitudes ou conjectures de la foi, je voudrais en outre rendre hommage au scientifique de haut rang que vous êtes de ne pas avoir voulu nous présenter une vérité des sciences coulée en acier.

En guise d’introduction à votre essai sur la « Vérité en sciences », j’ai fait état de mon scepticisme par rapport à la rigueur de l’expérimentation scientifique. Vous ne m’avez pas convaincu du contraire. Il reste cependant que l’expérience est indispensable dans toute recherche et dans toute approche de la vérité.

On dit d’Angelo Giuseppe Roncalli, le futur Pape Jean XXIII, que tout jeune professeur au séminaire de Bergamo, il aurait, en 1907, au comble de la crise antimoderniste, mis en exergue d’un discours académique le célèbre dicton de Francis Bacon : Tout savoir provient de l’expérience. Nous imaginons facilement la méfiance et la suspicion dont Roncalli devint par la suite l’objet au Saint-Office, successeur de la « Sainte Inquisition ».

Mais qu’en est-il de l’affirmation de Bacon par rapport à la foi, à la connaissance de Dieu ? À lire le dernier ouvrage de feu le Cardinal Julien Ries (1920-2013) [1] Les Origines des Religions (Cerf 2012) [2] on est tenté d’admettre que même dans le domaine religieux l’expérience est capitale. C’est à partir de son vécu, aux prises avec les questions fondamentales de la mort, de la survie, de l’au-delà que l’homme s’est peu à peu forgé des idées du religieux, idées multiformes et plurielles, tributaires de l’environnement vital et culturel, culminant à l’époque de l’invention de l’écriture dans l’émergence progressive des grandes religions mondiales.

Tout chat échaudé que je sois en ce qui concerne l’expérimentation scientifique (voir ma question initiale à l’essai I. Vérité en sciences), je dois donc avouer que l’expérience a également sa place, et quelle place, dans la quête et la connaissance de Dieu. Cela vaut plus particulièrement pour la religion juive (et, partant, pour la foi chrétienne) qui a – nous n’avons qu’à lire le Livre de l’Exode – son fondement dans l’expérience historique d’un Dieu libérateur, Dieu fidèle à travers l’Histoire, Dieu de l’Alliance irréversible, Dieu qui se révèle être l’Unique. Cette révélation s’accompagne pour Moïse qui la reçoit d’un émerveillement éblouissant, voire fulgurant dont le buisson ardent est le signe. Il en sera de même pour tous ceux qui, après lui, seront touchés par Dieu : Saul qui, sur le chemin de Damas, est soudainement enveloppé d’une lumière venue du ciel dont l’éclat l’a ébloui au point de l’aveugler (Act 9,3.8) ; Blaise Pascal qui dans la nuit du 23 novembre 1654 s’exclama : Feu. Certitude. Certitude. Sentiment. Joie. Paix ; pour Paul Claudel, c’est aux vêpres de Noël 1886 à Notre-Dame de Paris un ravissement intérieur instantané : En un instant mon cœur fut touché et je crus. Philosophiquement parlant, toutes ces expériences ont le caractère d’une fascination de l’évidence, voire d’un effleurement divin [3] qui peut prendre des formes variées allant du bouleversement radical à la flambée furtive.

 Bernard Baudelet

Dans l’essai VI. « Chemin spirituel d’un alter-croyant », Je reviendrai sur cette illumination de Paul Claudel. En effet, en tant que scientifique et avec beaucoup d’autres bien plus célèbres que moi, j’ai vécu des moments inattendus, forts, émerveillants où jaillissaient de mon inconscient de sublimes illuminations qui m’ont ouvert la voie à des théories scientifiques innovatrices, ensuite explicitées consciemment. J’ai connu comme Paul Claudel, non pas la grâce d’« un effleurement divin », mais la conviction que Dieu n’est pas avec la puissance de l’éclair qui zèbre un ciel d’orage. Je me souviens du jour, de l’heure approximative, j’avais 27 ans, et même du lieu. C’est à Tananarive que le mur de ma foi s’est effondré pour dégager l’infini d’un ciel d’été. De ces mystères, je proposerai ultérieurement une interprétation fondée sur les neurosciences [4]. Alors comment, selon vous bien cher ami, parvenir à une foi sereine en Dieu qui engage toute une vie [5] ?

 Mathias Schiltz

Je vous concède que d’autres illuminations fascinantes sont possibles. J’en ai vécues plus d’une fois quand des évidences d’ordre intellectuel ont envahi mon esprit, encore que je croie pouvoir discerner entre les unes et les autres une différence difficile à expliquer, tant elle est peut-être ténue. Mais comment, à partir d’une telle expérience, si marquante soit-elle, parvenir à cette foi qui commandera dès lors toute ma vie ? Ici l’expérience seule ne peut suffire. Comme en science, l’expérience ne peut avoir le dernier mot. Le dernier mot appartient à la Parole. Le Dieu dont le visage émerge à travers l’expérience vitale de l’oppression-libération du peuple d’Israël, est un Dieu qui parle. Dans l’événement du buisson ardent (Exode 3,1-15) qui est l’événement fondateur de la foi juive et, partant, de la foi chrétienne, Dieu parle à Moïse, il lui révèle son nom. Mystérieux, certes, et dès lors ineffable pour un Juif, ce nom est néanmoins pour le croyant, de la part de Dieu, garantie de proximité bienveillante, de protection salvatrice voire d’amour gracieux. Je suis là et serai là, je suis avec toi et serai avec toi, quoi qu’il arrive. Le Dieu de la Parole devient le Dieu de la Promesse. Et il concrétise cette promesse dans l’Alliance qu’il propose et conclut avec son Peuple, une Alliance qui comporte indissociablement des exigences éthiques et des devoirs à l’égard du prochain.

L’expérience a donc besoin d’être éclairée par la Parole. Parole directe de celui qui se manifeste, comme c’est le cas dans les révélations premières, dans l’expérience de Moïse ou de Saul de Tarse par exemple ; et si j’appartiens au commun des mortels parmi les croyants, parole transmise par des témoins, prophètes ou apôtres, auxquels je puis faire confiance : Scio, cui credidi – Je sais en qui j’ai mis ma foi (2 Tm 1,12). Telle est la structure de la foi, de la foi chrétienne en tout cas. Encore qu’il faille à propos de cette médiation toujours se rappeler la conclusion de la rencontre de Jésus avec la femme samaritaine. Ses concitoyens lui disent : Ce n’est plus seulement à cause de tes dires que nous croyons ; nous l’avons entendu nous-mêmes et nous savons qu’il est vraiment le Sauveur du monde (Jn 4,42). À l’écoute de la parole transmise fait écho et correspond une voix intérieure. Tout près de toi est la parole, dans ta bouche et dans ton cœur (Rm 10,8 ; Dt 30,14). Cette voix intérieure n’est autre que la voix de la conscience, cette instance suprême à laquelle Henry Newman porta, à l’occasion de son élévation à la dignité cardinalice, un premier toast avant de lever son verre à la santé du pape. C’est à ce niveau, à la profondeur du nœud le plus intime de mon être, en ce que la tradition biblique appelle le « cœur », que se forme l’acte de foi.

Maître Eckhart dit de cette voix intérieure : La Parole se trouve enfouie dans l’âme de sorte qu’on ne le sait pas et ne l’entend pas, tant qu’on ne lui prête pas écoute dans la profondeur ; auparavant elle n’est pas entendue ; au contraire, toutes les voix et tous les sons doivent être éliminés et il faut un apaisement cristallin, un silence parfait.

La voix intérieure qui résonne en moi, confirme ce que j’entends de la bouche des témoins en me disant : c’est vrai, c’est bon, c’est beau, c’est cohérent. Ici, ce sont les quatre qualités transcendantales de l’être ou de la science de l’être (l’ontologie) qui interviennent : le vrai, le bon, le beau et l’un. Par le fait même, la Parole devient Logos : raison, rationalité. Le pape émérite Benoît XVI ne s’est pas lassé, dans la foulée de l’encyclique Fides et ratio de son prédécesseur, de rappeler la compatibilité entre foi et raison. La raison ne peut, certes, pas prouver la vérité de la foi. Mais, passée au crible de la raison, de la rationalité, la foi chrétienne s’avère être un rationabile obsequium (un culte logique, raisonnable, approprié à la raison) [6].

 Bernard Baudelet

Permettez-moi de vous faire part de ce que je n’ai pas trouvé dans cette encyclique une compatibilité réelle entre foi et raison car d’une part la raison est philosophique et ne concerne pas toutes les philosophies qui auraient pu gêner et d’autre part la raison n’est pas scientifique et heureusement car on sait bien qu’il a été souvent malaisé pour la catholicité de se frotter aux sciences. Comme nous en sommes convenus amicalement, nos divergences ne seront jamais conflictuelles car elles sont pour vous et pour moi, exprimées en authenticité dans le cadre de nos vérités forcément pas toujours compatibles.

 Mathias Schiltz

Je pense qu’il faut s’entendre sur le terme « compatibilité ». Peut-être faudrait-il dire qu’il n’y a pas d’incompatibilité, c’est à dire pas de contradiction entre la science et la foi, à condition qu’aucune des deux n’empiète sur le terrain de l’autre.

Cela dit, le terme Logos nous oriente encore dans une autre direction. Au contact avec la pensée grecque, les livres sapientaux du Premier Testament, rédigés du reste partiellement en langue grecque, ont élaboré une personnification du Logos ou de la Sagesse qui en fait une personne, une hypostase distinguée mais toute proche de la divinité (cf. surtout Proverbes 8,22-31).

On peut considérer cette évolution comme un prélude lointain (voire providentiel) en direction de la foi chrétienne au Logos substantiel de Dieu qui s’exprime dans le prologue de l’épître aux Hébreux (1,1-3) : Après avoir, à bien des reprises et de bien des manières, parlé autrefois aux pères dans les prophètes, Dieu, en la période finale où nous sommes, nous a parlé à nous en un Fils qu’il a établi héritier de tout, par qui il a aussi créé les mondes. Ce Fils est resplendissement de sa gloire et expression de son être et il porte l’univers par la puissance de sa parole. Le prologue de l’évangile de Jean (Jn 1,1-18) prolongera ce fil de pensée en précisant que ce Fils n’est autre que le Verbe (le Logos) fait chair qui est venu en ce monde. Et il ajoute que tout fut par lui, et rien de ce qui fut, ne fut sans lui (Jn 1,3). En d’autres termes : Tout a été créé par lui et en lui. Cela établit entre lui – en qui était la vie, lumière des hommes (Jn 1,4) – et moi une espèce de parenté voire de connaturalité qui me permet de reconnaître sa voix au plus intime de moi-même. L’Évangile de Jean lui-même explicite cet état de choses dans la parabole du berger (Jn 10,1-18). Les brebis écoutent sa voix …, il les appelle chacune par son nom, et il les emmène dehors. Lorsqu’il les a toutes fait sortir, il marche à leur tête et elles le suivent parce qu’elles connaissent sa voix.

Mais nous rejoignons également saint Augustin qui dit : Tu nous as faits pour toi, et notre cœur est inquiet jusqu’à ce qu’il repose en toi (Confessions I,1,1) ou encore Tu étais en moi plus profondément que mon tréfonds le plus intime et plus haut que les sommités de mon âme (Confessions III,6,11).

Tout ce cheminement retrace l’œuvre de la grâce. Mais quelle est la part de l’homme ? La foi est grâce, don gratuit, offre et proposition [7] ; elle n’est pas coercition déterministe. L’homme doit répondre à cette proposition, il doit l’accueillir par une adhésion qui est bien plus qu’un « tenir pour vrai ». L’adhésion de la foi est un élan de tout l’être vers Dieu, l’engagement du plus profond de soi. Un auteur contemporain s’en explique par une comparaison en ces termes : Le fiancé qui dit à la fiancée qu’il croit en elle – ce sont des mots lourds de sens – ne dit pas : je constate ton existence et tes qualités ; je crois que tu es ceci ou cela ; je crois les renseignements qu’on m’a donnés sur toi ; je crois toutes les vérités qui te concernent. Il dit exactement ceci : je te donne ma foi ; je m’engage à fond vis-à-vis de toi, tu seras désormais le centre de ma vie ; je me décentre afin que désormais le centre de mon existence ne soit plus moi, mais toi ; je te confie par un acte de donation de moi-même le soin de mon bonheur ; tu es digne d’être aimée et je t’aime, je veux dépendre de toi. Aimer, c’est consentir à dépendre de l’amour. Le vieux mot français « fiance », qui est tombé en désuétude, a survécu dans « confiance » et dans « fiancé ». La confiance est la « fiance » réciproque où amour, foi et joie ne font qu’un [8].

Le croyant, comme le fiancé authentique, met tout sur une carte. Il s’agit, tout simplement, d’aller à la rencontre de l’Invisible, voire de se lancer dans ses bras.

Cela implique une option, un choix fondamental de l’existence. Es muss doch mehr als alles geben » [9], il faut qu’il y ait plus que tout ce que nous pouvons voir et toucher. C’est exactement l’option que le croyant doit prendre. Une telle option ne va pas de soi. Elle n’est rien de moins qu’un retournement complet de mes habitudes de pensée, une conversion de tout mon être. Convertissez-vous et croyez, telle est la première prédication de Jésus (Mc 1, 15) : La foi ne va jamais sans conversion. Elle nous demande de lâcher nos certitudes et nos sécurités premières pour nous lancer dans les bras de celui qui seul peut assurer l’accomplissement plénier de notre existence. Et cet élan est, ne nous leurrons pas, un saut par-dessus un immense abîme, un peu comme le saut de l’artiste qui, sous le chapiteau du cirque, lâche sa barre en plein vol pour se jeter vers son partenaire. C’est un saut, pour lequel j’ai besoin de toute mon énergie et de toute ma confiance. C’est un saut d’une telle envergure que je ne pourrai jamais le réaliser de mes propres forces. C’est Dieu, mon partenaire, qui m’attire vers lui et me donne la force et le courage de me lancer. La foi est toujours à la fois grâce de Dieu et décision de l’homme.

Mais cette décision n’est pas un saut dans le vide. Elle est un choix responsable, dont je peux également – répétons-le – répondre devant ma raison [10]. Elle est un acte de confiance raisonnable pour lequel j’ai de bons arguments, même si je ne peux pas démontrer ma foi [11], - qui dès lors ne serait d’ailleurs plus la foi.

L’artiste du cirque qui lâche sa barre, sait vers qui il se jette. Il a confiance que son partenaire est capable de le saisir au vol et de le tenir. Il en va de même de la foi. Nous avons de bonnes raisons de croire que Dieu nous saisit et nous tient. Parce qu’il nous l’a dit et promis dans sa Parole. Parce qu’il y a en nous une voix intérieure qui confirme cette Parole. Parce qu’une foule innombrable d’hommes et de femmes – une nuée de témoins, comme le dit la lettre aux Hébreux (12,1) – a fait avant nous l’expérience que la foi porte. Comme l’eau porte le nageur !

Mais allez expliquer cela à celui qui hésite et tremblote au bord de la piscine. Seul celui qui risque de se jeter à l’eau et de nager peut faire l’expérience que l’eau porte. Il en va de même de la foi.

Et la confiance est, tôt ou tard, récompensée par la contemplation. Pour le mystique, la foi se rapproche de la vision. La coulée du temps aboutit au silence de l’instant. C’est lui qui est l’espace de l’authentique expérience de Dieu. Le temps du silence devient plénitude du temps. Nous sommes comblés par ce que l’Évangile annonce : libération, décharge, guérison, encouragement, capacité. Et dans cette plénitude, c’est l’Esprit de Dieu qui parle en nous : Abba, Père (Rm 8,15 ; Gal 4,7).

 Bernard Baudelet

Avec le philosophe André Comte-Sponville [12], je me méfie des croyances qui correspondent à mes désirs. En effet, qui pourrait à la légère refuser d’être comblé par sa foi en Dieu ? Comment résister à cet émerveillement que vous promettez. Je reconnais qu’il est tentant de se jeter à l’eau devant la perspective de devoir gravir son chemin de vie sans le secours de Dieu et d’accueillir la mort avec ses souffrances sans espérance d’éternité, sans oublier d’évoquer la mort inadmissible d’un enfant, de son enfant. Un ami prêtre me disait que lors de la cérémonie d’enterrement devant un petit cercueil Je ferme ma gueule ! Malgré le doute inévitable devant l’absence de certitude mais uniquement des convictions, faut-il comme le jésuite Joseph Moingt [13] déclarer Croire quand même ? Pour des raisons, les miennes, que je n’ai pas l’intention de développer dans cette série d’essais sur la vérité, j’ai acquis la conviction que Dieu n’est pas [14]. Alors, j’aurais pu me jeter à l’eau comme vous le suggérez en faisant le Pari de Pascal à propos duquel nous reviendrons dans l’essai VI de cette série. J’aurais pu m’étourdir par le pouvoir, l’argent, le sexe, l’alcool afin de bien rigoler… J’ai décidé d’affronter mon chemin de vie avec sérénité, sans éternité en Dieu, ni cycle des renaissances suivant des spiritualités de l’Extrême-Orient. En effet, j’ai horreur de faire semblant. Ce chemin n’est pas tragique mais peut devenir un chemin de paix et de joie intérieure. Et puis, n’oubliez pas qu’il est des futurs sans éternité dans d’autres traditions spirituelles, non-dualistes comme celles de l’Occident. Sans appartenir à ces traditions, je peux témoigner qu’elles permettent des chemins de vie en plénitude. Enfin, je suis convaincu de votre cohérence car, né dans un cadre catholique, votre cerveau ainsi engrammé a trouvé des résonnances positives. Ainsi, nous sommes faits tels que c’est une épreuve de ramer à contre-courant comme je l’ai longuement vécu, sans prétendre qu’il est facile de demeurer dans le même sillon.

Enfin, j’aimerais vous interpeller sur le mysticisme. Je viens de relire [15] des sermons, des conférences et des écrits de Maurice Zundel (1897-1975), un prêtre catholique suisse considéré comme un mystique. Je suis frappé qu’il exprime ses convictions, fondées sur son Amour en partage avec le Dieu de sa foi, comme des vérités tant il les exprime avec force. J’ai plusieurs fois eu l’impression que ses visions allaient bien au-delà des écrits évangéliques. Que faut-il en penser ? Devrait-on inciter ses lecteurs à faire preuve de discernement ? Les vérités des mystiques sont-elles universellement vraies ?

 Mathias Schiltz

Là vous me posez une question bien embarrassante du fait que le terme « mystique » est assez équivoque. Dans une première approche, nous pouvons dire que c’est l’expérience d’une communion-présence avec l’inconnu, le surnaturel, Dieu. Cette expérience peut correspondre à un désir profond d’union avec Dieu et s’accompagne souvent d’une sorte d’illumination qui ouvre au regard intérieur une nouvelle vision de soi, de Dieu, des autres et du monde. Ces illuminations mystiques peuvent engendrer en celui qui en est le bénéficiaire des convictions très fortes. Mais, à priori, celles-ci n’ont pas vocation à être érigées en vérités universelles. Elles peuvent, certes, être partagées, mais elles doivent toujours être examinées et vérifiées à l’aune des Écritures et de la Tradition. On ne doit donc pas hésiter à inciter les lecteurs d’écrits mystiques à faire preuve de discernement. D’ailleurs l’Église catholique refuse systématiquement dans ses procès de canonisation et de béatification de tenir compte de tout ce qui serait « mystique ».

 Bernard Baudelet

A la lecture de votre réponse, a jailli en moi Que Dieu soit loué ! Il aurait été plus heureux d’exprimer Je m’en réjouis ! L’humour entre nous n’est pas interdit.

 Mathias Schiltz

Sûrement pas. Mais je voudrais ajouter que, finalement, pour le croyant chrétien la mystique consiste essentiellement dans l’assimilation au Christ, dans la relation vitale, la symbiose avec lui, de façon à pouvoir dire avec saint Paul : Je vis, mais ce n’est plus moi, c’est le Christ qui vit en moi (Ga 2,20). C’est dans ce sens que dans ses « tweets » le Pape François invite sans cesse à sortir de soi et à entrer dans la logique de Dieu.


[1Le Cardinal Ries est décédé le 23 février 2013.

[2Cf. Marc Jeck, Sur les traces d’une prise de conscience religieuse dans les sociétés préhistoriques. Un travail kaléidoscopique. Le cardinal Julien Ries consacre sa nouvelle publication une fois de plus à l’homo religiosus, in : Die Warte, 25 octobre 2012, no 29|2379.– Signalons également la remarquable exposition DIEU(X), Modes d’emploi, au Petit Palais à Paris du 25 octobre 2012 au 3 février 2013.

[3Cf. Anselme de Canterbury, Proslogion seu alloquium de Dei existentia.

[4J’invite ceux qui seraient impatients de lire l’article que j’ai publié dans la Warte le 7 juin 2012, sous le titre Eurêka – j’ai trouvé.

[5En réponse à une question posée par Mathias Schiltz à propos du Pari de Pascal, je tenterai de montrer à la fin de l’essai VI, comment la conviction acquise à Madagascar, a imposé mon chemin de vie sans Dieu, ni toute autre perspective après ma mort.

[6Cf. Romains 12,1 – Traduction œcuménique de la Bible, note j : culte conforme à la nature de Dieu et de l’homme.

[7Voir à ce sujet le rapport toujours actuel présenté par Monseigneur Claude Dagens, évêque d’Angoulême, à l’assemblée plénière des évêques de France en février 1994 : Proposer la foi dans la société actuelle.

[8François Varillon, Joie de croire, joie de vivre. Paris 1981, 134.

[9Es muss doch mehr als alles geben. Nachdenken über Gott (Titre d’un livre de Dorothee Sölle publié à Hambourg en 1992).

[10Soyez toujours prêts à justifier votre espérance devant ceux qui vous en demandent compte. Mais que ce soit toujours avec douceur et respect… (1 Pi 3,15-16).

[11C’est ce que j’ai compris dès le début de mes études de théologie, non pas dans un cours savant, mais à la lecture d’un roman (Ernst Wiechert, Das einfache Leben – La vie simple, 1939), dans lequel un pasteur dit à un homme en recherche de Dieu qu’il ne peut lui étaler Dieu ou la foi sur la table.

[12L’esprit de l’athéisme publié en 2006 par André Comte-Sponville aux Éditions Albin Michel.

[13Croire quand même publié par Joseph Moingt en 2010 aux Éditions Temps Présent.

[14Dans un prochain essai, VI. « Chemin spirituel d’un alter-croyant », je justifierai cette décision.

[15L’humble présence, publié aux Éditions du Jubilé Sarment en 2008. Ce livre regroupe des inédits de Maurice Zundel, recueillis et commentés par Marc Donzé.

 
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