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21 mars 2024

« Pour moi la vocation c’est une manière d’aimer ».

Interview avec dom Michel Jorrot qui célèbre ce 19 mars, fête de Saint-Joseph, 30 ans de bénédiction abbatiale.

Il y a 30 ans, le 19 mars 1994, en la fête de saint Joseph, le père Michel Jorrot, de l’abbaye de Solesmes en France, a été béni à l’Abbaye Saint-Maurice et Saint-Maur de Clervaux. Trente années à la tête du monastère bénédictin de Clervaux, qui ont été le sujet d’une longue conversation avec Cathol.lu. Une entrevue où nous avons abordé le manque de vocations au monastère bénédictin, sa succession et l’état actuel de l’Église et du monde. Les festivités marquant les 30 ans de la Bénédiction abbatiale seront ouvertes aux amis de l’Abbaye avec une concélébration festive prévue pour samedi prochain, le 23 mars. Le Cardinal Jean-Claude Hollerich, archevêque de Luxembourg, et l’archevêque émérite, Mgr Fernand Franck, ont déjà confirmé leur présence.

Dom Michel Jorrot nous a reçus à l’Abbaye de Clervaux pour nous parler de ses 30 ans de Bénédiction Abbatiale. Elle lui fut conférée en la solennité de saint-Joseph , le 19 mars1994

Cathol.lu - 30 ans de bénédiction abbatiale... C’était le 19 mars 1994, quels souvenirs gardez-vous de ce jour-là ?

Dom Michel Jorrot - De ce jour-là je garde, entre autres, le souvenir d’une très grande chaleur, de cordialité, de communion, qui m’a entourée, j’ai retenu beaucoup cela. Avec cela, une sorte de convergence autour de ma personne, mais pour le bien du monastère. Il y avait beaucoup d’invités…

Cathol.lu - Combien d’invités ?

Dom Michel Jorrot - Il y avait du monde. Il y avait aussi une réception dans le cloître. Je dirais, 150 personnes.

Cathol.lu - À l’époque vous aviez 49 ans… Comment avez-vous vécu ce jour-là ?

Dom Michel Jorrot - Très absorbée par la dimension spirituelle et aussi par la dimension rencontre de personnes. La dimension spirituelle m’a beaucoup habité. Je sentais de devoir me laisser prendre par la grâce du jour.

Cathol.lu - En 30 ans, le monde a changé. Il y a 30 ans, je commençais ma vie professionnelle d’adulte à Lisbonne, et vous êtes devenu le Père abbé de ce monastère. Comment percevez-vous notre monde aujourd’hui ?

Dom Michel Jorrot - Au niveau humain, il y a eu des éléments de progrès considérables, au niveau technologique, disons entre autres, bien sûr. Mais au niveau humain, il y a eu une dispersion des éléments spirituels qui peuvent motiver les jeunes, les adultes, une dispersion dans la multiplicité des propositions qui fait que je sens, pour ma part, au niveau humain, une sorte de perte du sens de la vie. Du sens d’une vie, d’une finalité pour une vie. En fait, on peut faire quantité de choses, on peut changer beaucoup, une sorte de diversion, d’instabilité - je ne veux pas parler simplement de la technologie, des smartphones qu’on voit partout - mais encore une fois, un progrès énorme au niveau technologique mais une sorte de perte, du sens essentiel, de l’orientation de chaque personne vers sa propre finalité et celle de la société.
Au niveau spirituel, ce que j’ai pu sentir, par exemple ici à Noël où il y avait beaucoup de monde à la messe de la nuit et du jour, une attention à davantage de spiritualité, d’intériorité, mais ça me frappe, alors que d’un autre côté au niveau spirituel et proprement religieux il y a plutôt une diminution de la pratique religieuse. Les gens sont moins intéressés, les gens sont moins portés à chercher dans la prière le secours dont ils ont besoin.

Cathol.lu - Et même la vie communautaire, les gens ont perdu l’intérêt pour la vie de l’Église, pour la vie communautaire…

Dom Michel Jorrot le jour de la Bénédiction Abbatiale

Dom Michel Jorrot - C’est pour ça que notre vie monastique pourrait être un exemple, un souhait énorme que des jeunes retrouvent l’apport, le bénéfice d’une vie fraternelle, communautaire, bien sûr régie par une règle qui est précise, mais qui est prudente en même temps, qui n’est pas quelque chose pour écraser la liberté. Ces jeunes pourraient retrouver ce sens, mais comme ils sont tellement happés, saisis par tout ce qui est individualisme, donc ils n’arrivent pas à se retrouver ensemble, le sens communautaire peut se perdre. Ou alors à moins qu’il y ait une sorte d’idéologie qui pourrait les motiver…

Cathol.lu - Quelle idéologie ?

Dom Michel Jorrot - Quelle ? Politique, philosophique, religieuse. Les Journées mondiales de la jeunesse à Lisbonne ont été considérables. Des jeunes ont accepté cette invitation à se retrouver pour un motif véritablement religieux, avec des motivations que le pape leur a données et qui pouvaient les éclairer non seulement sur le sens de leur rassemblement, mais également sur le sens, une fois de retour chez eux, de l’existence humaine, afin d’imprégner la société de ce sens de Dieu.

Cathol.lu - Qu’est-ce que l’Église peut faire ?

Dom Michel Jorrot - L’Église peut faire beaucoup de choses parce qu’elle a ce sens de la communication, contrairement à ce que certains peuvent penser, puisque les sacrements sont toujours une chose personnelle, une relation du prêtre avec une personne, la communication se fait là. Et puis autre chose, c’est que l’Église peut développer, et cherche à le faire, ce que j’appellerais le sens chrétien, qui permet à un jeune chrétien, de se positionner désormais face à la vie du monde, dans l’ensemble de la vie de la société, économique, politique, sociale, en disant « j’ai tel comportement parce que je suis chrétien » ; ou « je ne fais pas telle chose, je ne pense pas comme ça, parce que je suis chrétien ». Ce serait un apport considérable, au fond, à l’évangélisation, sans avoir une mission spéciale d’évangéliser les autres, mais plutôt de transmettre son esprit chrétien. Et cet Esprit est fondé sur les Béatitudes : pour être heureux, il ne faut pas faire cela ou il faut faire comme cela. Reconstruire le sens chrétien qui peut imprégner toute la société. Je prends l’exemple, si les chrétiens disaient entre eux, « Il faut aller à la messe le dimanche » - c’est une chose qui tend à disparaître - mais le chrétien peut dire, « je vais à la messe le dimanche parce que c’est le Christ qui m’appelle ». « Heureux les invités au repas du Seigneur » Si tu ne vas pas à la messe le dimanche, il te manque quelque chose, sur ce point précis, de transmettre l’esprit chrétien à partir de la pratique chrétienne. Et c’est très beau…

Cathol.lu - Et l’Église ? A-t-elle changé au cours de ces derniers 30 ans ? Ou pas tant que ça ? Est-il nécessaire que l’Église évolue ? À votre avis, l’Église doit-elle suivre les changements du monde ? Avancer main dans la main... dirons-nous, avec les changements qui se produisent ?

Dom Michel Jorrot - Le terme « changer » est piégé, car le Concile Vatican II a clairement indiqué qu’il y a des aspects de l’Église qui ne peuvent pas changer. L’Église est construite sur sept sacrements, et les sept sacrements institués par le Christ ne changeront pas. Cela ne changera pas. L’Église ne peut pas faire autrement : cela vient du Christ. Mais ce que je constate, à la suite de Vatican II, c’est que l’Église trouve maintenant le moyen de mieux comprendre l’évolution du monde pour rejoindre les gens là où ils sont, dans ce qu’ils sont, et moins les juger ou les exclure, car les situations deviennent plus floues. Il s’agit plutôt de chercher à comprendre ce qui se passe, et comment la foi, comme je l’ai mentionné précédemment pour l’esprit chrétien, peut à nouveau rejoindre les gens pour améliorer leur comportement humain. Une évangélisation au niveau le plus ordinaire, le plus courant de la vie, où l’Église peut agir par son témoignage. Cependant, étant donné les nombreuses déviances, cela a discrédité l’Église et son message.

Cathol.lu - Quelles déviances ?

Dom Michel Jorrot - Eh bien… tout le monde le sait. Elles sont énormes, vraiment affligeantes, on ne pensait pas que cela arriverait, non seulement dans l’Église en tant qu’esprit chrétien, mais aussi chez les prêtres, et tout ce que nous avons pu apprendre…

Cathol.lu - Vous parlez des abus sexuels ?

Dom Michel Jorrot - Mais il ne faut pas non plus rester, comment dire, bloqué par cela, car il faut aller au-delà, il ne faut pas s’arrêter à cette blessure. Même l’idée qui émerge maintenant, dans cette société, est qu’il y a aussi une action de Dieu : Dieu n’abandonne pas les hommes, ce n’est pas vrai. Donc, nous devons essayer de comprendre ce qu’il peut y avoir comme action de Dieu chez les gens qui vivent du mieux qu’ils peuvent.

Cathol.lu - Revenons à votre vocation : la devise « Ora et labora », a-t-elle encore un sens ? Prier sept fois par jour et rester ici cloîtré ? Est-il toujours logique de tout abandonner pour une vie consacrée à Dieu ?

Dom Michel Jorrot - Je voudrais répondre par mon petit témoignage personnel. Pourquoi suis-je devenu moine ? J’étais assez jeune, je n’avais pas terminé l’école, Il s’agit d’un petit événement que je n’ai compris que plus tard. J’étais dans la région parisienne, où était ma famille, ça devait être dans les années 55, en revenant du catéchisme, dans la rue, j’ai rencontré un monsieur, vêtu très simplement, qui s’est arrêté devant moi, et à ce moment-là je tenais une crèche que j’avais fabriquée en papier, Il m’a demandé ce que j’avais là, et j’ai dit que c’était une crèche. Alors, il m’a regardé, a pris une pièce de monnaie dans sa poche, et m’a dit « tiens mon petit gars, tu prieras pour moi ». Puis il est parti. J’étais impressionné car ma mère m’avait dit « Tu ne parles à personne dans la rue ». Je suis arrivé à la maison, et ma mère a dit « on mettra cet argent à la quête à l’église ». Longtemps après, lorsque j’étais sur le point de faire mon engagement monastique, ce qu’on appelle la profession solennelle, donc pour toujours, en 1970 à Solesmes, j’étais dans ma retraite, avant l’engagement définitif, et dans mon cœur je me demandais, « Est-ce vraiment mon chemin ? Je suis encore jeune », je ne doutais pas, mais j’aurais aimé avoir un signe, une confirmation de ma vocation. Et voilà que cet événement est revenu dans mon cœur : « Tiens mon petit gars, tu prieras pour moi ». Voilà, je suis devenu moine et je réponds à une question qui, je crois, est essentielle pour toute personne : « Qu’est-ce que je peux faire pour les autres ? ». Jésus sur la croix est mort pour les autres, pas pour lui-même. « Qu’est-ce que je peux faire pour les autres ? » s’est développé en moi tout simplement. « Ah, je pourrais me mettre à la suite du Christ pour louer Dieu pour toute son œuvre », car Jésus a dit : « Père, je t’ai glorifié sur la terre ». Et je voudrais suivre Jésus avec cette parole et moi aussi glorifier Dieu sur la terre et me mettre en chemin qui puisse être un chemin où d’autres pourraient me suivre. Je ne suis pas meilleur, je suis le Christ. « Père, je t’ai glorifié sur la terre », la louange… Et puis « qu’est-ce que je peux faire pour les autres ? » « Eh bien, tu prieras pour moi ». Je vais intercéder, et chez les moines, l’intercession est un mouvement intérieur considérable. Le pape François l’a rappelé l’année dernière, lors de l’audience générale du 26 avril 2023, que j’ai citée dans l’homélie à la cathédrale pendant l’Octave. Le pape a dit « les moines et les moniales sont le cœur de l’évangélisation par l’intercession ». « Qu’est-ce que je peux faire pour les autres ? » Mais je le dis à ceux qui veulent se marier, cela reste la même question, « qu’est-ce que je peux faire pour les autres ? ». Rendre une femme heureuse, « j’aurai des enfants si Dieu les donne », cela vaut pour toute situation, cela élimine tout égoïsme, tout prestige personnel, il ne s’agit pas de cela. « Qu’est-ce que je peux faire pour les autres ? »

Cathol.lu - Et encore aujourd’hui, vous vous posez la question, « Qu’est-ce que je peux faire pour les autres » ?

Dom Michel Jorrot - Donc, je peux leur transmettre la joie d’être chrétien, ce que les chrétiens peuvent faire souvent, transmettre cette joie. Pour les vocations, j’y pense beaucoup. Nous prions pour les vocations, ce n’est pas simplement pour avoir des jeunes chez nous, mais c’est pour que des jeunes découvrent la joie du don de soi dans la vie monastique. Il faut transmettre cette joie, c’est un vrai bonheur, la joie de répondre à une vocation.

Cathol.lu - À propos des vocations. Au début de ce siècle, le monastère accueillait plus de 20 moines, 23 pour être plus exact. Aujourd’hui, ce nombre est en diminution…

Dom Michel Jorrot - Quand j’ai commencé en 1994, nous étions 37.

Cathol.lu - Et aujourd’hui, vous êtes combien ?

Dom Michel Jorrot - 12.

Cathol.lu - Avez-vous peur que ce monastère ferme faute de vocations ?

Dom Michel Jorrot - Je n’y pense pas sous cette forme-là.

Cathol.lu - Vous ne pensez pas…

Dom Michel Jorrot - Il y a encore des moines.

Cathol.lu - 12 !

Dom Michel Jorrot - Il y a la providence, ils sont de très bons moines.

Cathol.lu - Comment se manifeste la providence ?

Dom Michel Jorrot - Elle se manifeste par le fait que nous sommes heureux de voir que notre présence, je le dis modestement, est très appréciée. Les gens aiment bien venir à l’abbaye. Les habitants de Clervaux savent, quand ils entendent la cloche, que c’est l’heure de la prière, là-haut, sur la montagne. Les gens viennent. Nous recevons régulièrement des séminaristes en retraite, ou des personnes qui font des retraites personnelles. Les gens apprécient beaucoup notre présence. Comme je vous le disais, à la messe, certains jours, il y a quand même des personnes qui viennent assister à l’eucharistie en chant grégorien tous les jours. Cette présence pour nous représente un signe que Dieu veut que nous soyons là.

Cathol.lu - Mais qu’est-ce qu’on fait avec le manque de vocations, à part de prier ?

Dom Michel Jorrot - Nous souffrons… et en même temps, nous sommes invités à dire comme le Christ « N’ayez pas peur ». Il ne faut pas avoir peur. La vraie confiance, la vraie espérance, c’est quand, dans l’ordre humain, on n’a guère de moyens. Alors, là, on fait vraiment confiance à Dieu.

Cathol.lu - Et vous transmettez cette confiance aussi aux moines qui habitent ici ?

Dom Michel Jorrot - Bien sûr. Il y a beaucoup de convergence en communauté, entre nous.

Cathol.lu - Vous en parlez, du manque de vocations ?

Dom Michel Jorrot - On en parle quand on la met dans la prière à l’église. Parfois oui, j’en parle surtout sur le fait que, entre nous, dans une communauté, il y a un exemple réciproque que nous nous donnons, pour que la vie monastique soit belle, même si nous ne sommes que 12. La vie monastique est belle.

Cathol.lu - Mais comment transmettez-vous cette beauté de la vie monastique à ceux qui sont à l’extérieur ? La beauté sauvera le monde !

Dom Michel Jorrot - Oui, qui a dit ça ?

Cathol.lu - Dostoïevski.

Dom Michel Jorrot - Oui, mais la phrase est coupée. Il s’agit de la beauté du Christ. Dostoïevski était un très bon croyant orthodoxe. Mais ce n’est pas de la beauté en général. C’est la beauté de la foi, c’est la beauté du Christ, pour lui, qui sauvera le monde. Donc, une beauté qui est en rapport avec Dieu.

Cathol.lu - Et comment transmettez-vous cette beauté aux autres ?

Dom Michel Jorrot - Nous le faisons par le témoignage de notre relation entre nous. Les frères qui sont au magasin témoignent de la communauté monastique. Le témoignage de l’entretien de la maison, que les gens peuvent voir ; le témoignage que nous donnons sur notre rapport vis-à-vis du monde, de ce que nous achetons, de ce que nous n’achetons pas, du comportement que nous pouvons avoir vis-à-vis de la société, les gens… Nous sortons toujours en habit, les gens sentent qu’il y a une relation entre nos valeurs qui peuvent les concerner. Même si cela ne suscite pas de vocation immédiate, ils sentent qu’il y a un idéal qui donne sens à la vie.

Cathol.lu - Mais quand même, le monastère est vivant. On entend ici la musique… il y a de la vie ici…

Dom Michel Jorrot - Nous avons un très bon organiste, il joue très bien.

Les moines bénédictins prient sept fois par jour. Toutes les heures liturgiques ont lieu dans l’église de l’abbaye.

Cathol.lu - Quel est votre rôle en tant que père abbé pour le reste des moines ?

Dom Michel Jorrot - Il y a un chapitre dans la règle, le deuxième, qui concerne l’abbé. Saint Benoît est formel : l’abbé est responsable à tous les niveaux dans la communauté. Il doit s’occuper du plan spirituel de la communauté, et même de l’organisation matérielle, de toute la structure concrète du monastère. Le père abbé a des frères qui l’aident pour les autres travaux, mais la responsabilité lui revient.

Cathol.lu - Mais surtout, de les conseiller, de les encourager…

Dom Michel Jorrot - Oui, oui.

Cathol.lu - Ils sont plus jeunes que vous….

Dom Michel Jorrot - Il y a de plus anciens que moi. Je ne suis pas le plus ancien…

Cathol.lu - Quel âge a le plus âgé ?

Dom Michel Jorrot - 82 ans.

Cathol.lu - Et le plus jeune ?

Dom Michel Jorrot - 49.

Cathol.lu - En tant que Père Abbé, avez-vous un statut équivalent à celui d’un évêque ? Est-ce exact ? Les évêques démissionnent à l’âge de 75 ans. Vous avez déjà atteint cet âge et vous continuez toujours à diriger cette communauté. Vous sentez-vous assez fort pour continuer ?

Dom Michel Jorrot - Pour l’instant… mais il faut dire que la différence c’est que dans notre congrégation, l’ensemble des monastères qui dépendent de l’Abbaye de Solesmes, en France, dont je suis originaire, dans cette congrégation, il n’y a pas de limite d’âge pour les abbés.

Cathol.lu - Et donc, dans d’autres congrégations il y a la limite d’âge ?

Dom Michel Jorrot - Oui. Nous suivons la règle de Saint-Benoît. Pour Saint Benoît, l’abbé est abbé à vie. Tous mes prédécesseurs se sont retirés après un certain temps en tant qu’abbé. À Solesmes les deux premiers abbés sont morts abbés.

Cathol.lu - Et les autres ?

Dom Michel Jorrot - Ils ont démissionné.

Cathol.lu - Et vous, pensez-vous à votre succession ? Ou encore 30 ans de plus…

Dom Michel Jorrot - C’est le secret de la providence…

Cathol.lu - Vous n’y avez pas pensé ?

Dom Michel Jorrot - Je ne sais pas….

Cathol.lu - Et votre santé, comment va-t-elle ?

Dom Michel Jorrot - Bien….

Cathol.lu - Ça fait combien d’années que vous êtes moine ?

Dom Michel Jorrot - J’ai dépassé les 50 ans…

Cathol.lu - Quand vous regardez toutes ces années. 50 ans de vie monastique….

Dom Michel Jorrot - Ce n’est pas long…

Cathol.lu - Ce n’est pas long ?

Dom Michel Jorrot - Non, ce n’est pas long. C’est-à-dire, c’est déjà passé. Quand je me suis engagé pour toujours, lors de la profession solennelle, je peux dire que j’avais 22 ans, j’avais écrit à mon père, lui laissant entendre : « Est-ce que je serai fidèle longtemps ? ». Et mon père m’a répondu que c’était pour lui comme pour sa femme, ma mère, l’engagement pour le mariage. Il m’a dit : « Nous ne savons pas. Nous nous sommes engagés tel jour et pour le lendemain, mais pour combien de temps nous ne savons pas ». Et il m’a dit : « Si tu as peur d’un avenir qui te paraît comme une grande montagne qu’il faudra gravir, tu te trompes, tu n’en sais rien ». Et c’est vrai, je n’en savais rien. Ils ont fait vécu leur mariage pendant 62 ans…. Moi je suis là.
Je sais que pour beaucoup de jeunes, l’idée d’un engagement définitif fait peur : « serai-je fidèle ? », « et dans 10 ans, qu’est-ce que je serai ? » La peur du changement est tellement subjective, que l’engagement peut créer une sorte d’hésitation….

Cathol.lu - Ce sont aussi des raisons pour lesquelles le mariage est en crise, parce que les gens ne veulent pas s’engager….

Dom Michel Jorrot - Mais si on considère le mariage sous l’aspect d’une vocation, quelque chose qui est voulu par Dieu, et bien Dieu donnera la fidélité, si on prie bien sûr, si on ne fait pas n’importe quoi….

Cathol.lu - Et l’état de grâce : le Seigneur donne l’état de grâce pour que chacun puisse accomplir sa mission….

Dom Michel Jorrot - Sa mission comme sa manière d’être. Je le dis bien : manière d’être, car la manière d’être elle est stable. Manière d’être… et pour moi la vocation c’est une manière d’aimer. C’est une manière d’aimer qui se confond avec une manière d’être. Ma manière d’aimer c’est une manière d’être. C’est très important. Donc ça stabilise l’amour de Dieu dans l’être. Le baptisé est baptisé pour toujours, c’est une manière d’être : être baptisé, être un chrétien. Aimer c’est une manière d’être. Ce n’est pas du tout superficiel, ni contingent, ni transitoire. On le dit pour le mystère de Jésus : « ayant aimé les siens, il les aima jusqu’au bout », ça veut dire qu’il avait toujours aimé, toute sa vie avait été d’aimer et sa mort sur la croix avait été une preuve d’amour jusqu’au bout. Je voudrais, moi, pouvoir mourir « d’avoir aimé jusqu’au bout ».
J’ai dit du pape Jean-Paul II, qui était très malade, qui est mort pape, très malade, et des gens disaient « Ah le pape, il veut continuer à être pape ». Je leur dis, mais ce que Jean-Paul veut, me semble-t-il, c’est ne pas mourir pape. Nuance, mais mourir d’être pape. Comprenez ?

Cathol.lu - Pouvez-vous clarifier la différence ?

Dom Michel Jorrot - C’est le fait « d’être pape » qui le tue ! Il aime jusqu’au bout dans sa mission de pape. Mais pour les chrétiens aux premiers siècles, l’idéal ce n’était pas de mourir chrétien. C’était de mourir d’être chrétien. C’est le martyre. La nuance tient en deux lettres. Mourir d’être chrétien, alors que pratiquement c’est le persécuteur qui le tue.

Cathol.lu - Revenant à votre fête du 19 mars, ça sera une grande fête ici.

Dom Michel Jorrot - Alors, il y a la fête du 19 mars et puis aussi le 23.

Cathol.lu - Pouvez-vous découvrir un peu ce qui va se passer ?

Dom Michel Jorrot - Le 19 mars, ce sera le jour même de l’anniversaire, donc nous serons entre nous, et il y aura le père abbé de Solesmes, Dom Geoffroy Kemlin, qui est le président de la congrégation, qui viendra. Et puis le 23, nous avons reporté au samedi, c’est plus pratique, quelques invitations, pour d’autres personnes que nous connaissons. S’ils acceptent l’invitation, nous les recevrons volontiers.

Cathol.lu - Monseigneur Franck sera-t-il présent ?

Dom Michel Jorrot - Monseigneur Franck, bien sûr. Notre cardinal a accepté très aimablement de venir. Je suis touché parce que nous ne sommes pas les seuls dans l’église du Luxembourg.

Dom Michel Jorrot a 79 ans et ne pense pas à sa succession à la tête des moines de Clervaux

Cathol.lu - Vous êtes content, vous êtes reconnaissant envers le Seigneur, envers Dieu, pour votre vie, ça se voit….

Dom Michel Jorrot - Que dire aux gens quand ils arrivent à leur fin de vie, avec l’impression que « leur vie a été pauvre, qu’ils n’ont pas fait grand chose et cetera…maintenant qu’est-ce que je pourrais faire ? » Je leur dis : il est encore temps de faire une chose : c’est de dire merci au Christ. Non pas d’abord pour votre vie, mais pour ce qu’il a fait dans votre vie, pour vous et pour les autres. Regardez la croix, nous allons vers Pâques maintenant, regardez la croix et dites au Christ : Merci, merci pour cette torture, merci pour cet amour jusqu’au bout pour moi. Saint Paul le dit, il est mort pour moi, personnellement. Celui qui meurt en disant « merci Jésus pour ce que tu as fait pour moi ». Nous sommes très touchés quand quelqu’un nous dit merci. Quand quelqu’un ne remercie pas, on est un peu triste. Mais au moins qu’on ait la pensée de rendre grâce au Christ pour ce qu’il a fait pour nous.

Cathol.lu - Alors les fêtes du 19 et du 23 seront une occasion pour dire encore une fois « merci Seigneur ».

Dom Michel Jorrot - Mais oui.


Interview
Domingos MARTINS
Photos : archive de D. Michel Jorrot
et DM

L’extrait long de l’interview avec Dom Michel Jorrot, Père Abbé de l’abbaye de Saint Maurice Clervaux
Domingos MARTINS
domingos.martins@cathol.lu
 
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