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Essais sur la vérité  
12 juillet 2013

VIII Richesse des diversités et problèmes du relativisme

Version définitive

 Bernard Baudelet

Cher Mathias, je vous propose dans une première partie de votre intervention de faire entendre à ceux qui l’auraient oublié ou bien qui l’ignoreraient, la richesse du message chrétien. En effet, il est important que chacun appréhende bien l’apport extraordinaire de ce message pour l’humanité. Je me réjouis par avance de vous découvrir aux tréfonds de la foi qui vous anime. Vous savez que je n’ai aucunement l’intention de ne pas respecter votre chemin de vie dans son authenticité. Dans l’espace de votre vérité, je me dois de vous entendre. Je serai certainement émerveillé par la chance que vous avez de vous sentir dans la lumière de l’esprit de Dieu. Je risque alors de mesurer la rudesse de ma voie, sans votre foi. Cependant, mon chemin spirituel n’est pas sans lumière comme je me suis efforcé de le montrer dans l’essai VI Chemin spirituel d’un alter-croyant, même s’il est vécu sans le mysticisme inspiré par Dieu.

Le message chrétien, c’est la diversité dans sa richesse pour ceux qui suivent d’autres spiritualités. C’est peut-être dans cette reconnaissance mutuelle que nous devrons vous entendre sur le relativisme. Le nœud gordien sera-t-il coupé ? Mais, ne brûlons pas les étapes.

 Mathias Schiltz

Voilà une véritable gageure, cher ami, faire entendre la richesse du message chrétien en quelques pages. Je vais me limiter dès lors à présenter une dimension largement méconnue de la foi chrétienne : c’est sa profondeur mystique. En me référant aux travaux de Raimundo Panikar et de Sebastian Painadath que j’ai d’ailleurs mentionnés itérativement dans les essais précédents, je pense en effet qu’il y a moyen à ce niveau, en cette profondeur, d’explorer des pistes de rapprochement ou des ponts possibles entre la vision judéo-chrétienne de Dieu et du monde et les conceptions des religions ou sagesses de l’Est asiatique.

En ce qui concerne Sebastian Painadath, jésuite indien et excellent connaisseur de l’Hindouisme, j’ai été frappé par une série de méditations sur le mystère de Dieu qu’il a publiées durant le Carême de cette année [1]. Dans l’essai IV. Vérités de la foi en Dieu à l’aune de la diversité et de la complexité je me suis référé à lui pour montrer qu’il est possible de présenter le message chrétien sans recourir à la conceptualisation de la philosophie grecque, mais dans les termes d’un autre monde mental, en mettant à profit les rayons de vérités de la foi dont témoignent les autres traditions religieuses, comme l’a prôné Claude Geffré [2]. Car le dialogue est, comme l’a affirmé Jean-Paul II à propos du dialogue œcuménique, toujours un échange de dons [3]. Cela vaut, toutes proportions gardées, également pour le dialogue interreligieux. Ainsi se révèle la richesse des diversités.

Dans ce contexte, j’avais essayé de présenter un échantillon de la pensée de Painadath en résumant sa première méditation intitulée Dieu avec nous. Pour la commodité des lectrices et lecteurs, je me permets de reproduire ici le résumé de cette méditation où l’auteur essaie de dépasser la traduction du terme grec logos par parole : Si le Logos divin est réduit à la « Parole », nous restons prisonniers de la mentalité et de la pensée gréco-romaine et la transmission du message chrétien revêt des formes trop exclusivement doctrinales. Mais si le logos est compris comme expression de soi de l’esprit dans toute sa profondeur et largeur, la danse et l’art, les mythes et les contes, les gestes et les paraboles ont leur place dans la réflexion et la transmission de la foi. – S’agissant de Dieu, le Logos est son expression totale (intégrale) de soi. Il est la dynamique de l’être dans le Divin, le jaillissement de la force créatrice de Dieu, la manifestation du mystère divin. Toute la création a son origine dans ce jaillissement et est animée par lui. « Tout fut par lui (le Logos) et rien de ce qui fut, ne fut sans lui. En lui était la vie et la vie était la lumière des hommes » (Jn 1,3-4).

Avant de parcourir la suite des méditations de Sebastian Painadath, je voudrais m’arrêter un instant sur la voie empruntée par l’auteur. C’est en un mot la voie de la mystique.

Il y a un certain nombre d’années, j’ai assisté à une conférence du théologien allemand Eugen Biser qui traitait de la typologie des religions et essayait de définir le statut du christianisme dans ce cadre. Le conférencier distinguait trois types principaux : la religion éthique, la religion thérapeutique, la religion mystique. Rappelant que Jésus s’était lui-même désigné comme médecin [4], il a classé le christianisme parmi les religions thérapeutiques. Dans la discussion qui suivait un éminent juriste, juge à la Cour de Justice des Communautés Européennes, s’est élevé énergiquement contre cette qualification en déclarant : Je n’ai pas besoin de thérapeute, je ne comprends rien à la mystique ; le christianisme est comme le judaïsme (la thora !) une religion éthique. Rien d’étonnant après tout de la part d’un juge.

Nonobstant, Sebastian Painadath s’en tient à la voie mystique et nous permet de redécouvrir à partir de l’Orient cette veine du christianisme trop souvent négligée, oubliée, sinon tarie [5], pour retrouver dans la foi chrétienne, comme je l’ai dit dans l’essai VII 2, des éléments d’immanence telle l’inhabitation de Dieu en l’homme que j’ai articulée selon Anselm Grün.

La deuxième méditation de Painadath est intitulée Dieu parmi nous. La perspective du Royaume de Dieu ouvre à tout le genre humain un horizon de salut et confère une orientation divine à notre vie. En araméen le mot royaume se dit makut et désigne l’œuvre de Dieu. Royaume de Dieu veut dire que Dieu agit parmi nous. Notre vie se développe dans un milieu divin. Dieu transforme notre vie en vie nouvelle, la vie divine. Cela implique aussi une compréhension nouvelle, plus profonde de l’appel à la conversion μετανοειτε que nous entendons trop souvent dans un sens exclusivement moral. Il s’agit de fait d’une transformation et d’un dépassement beaucoup plus profonds et existentiels. Il faut passer derrière jusqu’au νοûς ou νόος pour jeter un regard dans la profondeur divine, le νοûς étant dans la pensée de Painadath l’organe intérieur de la perception mystique, l’œil spirituel de la vision intérieure, la lumière intérieure du cœur. Un des premiers écrivains chrétiens, Origène (185-253/54), y voit la capacité de la vision intérieure grâce à laquelle nous percevons la dimension divine en nous. Pour saint Augustin c’est l’œil de la foi, pour Maître Eckhart la petite étincelle de l’âme. Par cette démarche nous découvrons que Dieu n’est pas loin mais au milieu de nous. Nous sommes des êtres comblés de grâce, nous vivons dans l’état d’un existentiel surnaturel (Karl Rahner). Une fontaine divine nourrit notre vie de l’intérieur parce que Dieu est avec nous.

Dans la méditation suivante le jésuite indien poursuit en affirmant que ce “Dieu avec nous” n’est pas un Dieu impassible, trônant dans une imperturbable béatitude céleste, alors que des millions et des millions d’hommes et de femmes peinent dans la souffrance en cette “vallée de larmes”. Il constate péremptoirement qu’un tel Dieu n’existe pas. Le Dieu des chrétiens est un Dieu qui souffre avec nous parce qu’il est amour et que l’amour rend vulnérable. En passant, Painadath prend congé d’une primitive théorie de l’expiation selon laquelle la mort de Jésus serait la rançon payée pour nos péchés. C’est l’inverse. La mort de Jésus est le don total de Dieu jusqu’à la mort. Jésus ne pouvait descendre de la croix par miracle alors que tant d’humains y restent suspendus.

La quatrième méditation intitulée Dieu autour de nous élargit encore l’horizon comme l’indique le sous-titre qui se réfère à une publication célèbre de Pierre Teilhard de Chardin : Depuis la résurrection de Jésus Christ tout se meut dans un « milieu divin » [6]. Dieu est parmi nous comme Celui qui nous aime, qui souffre avec nous, qui guérit, restaure et réunit tout dans le Christ. Dans cette vision, toutes les activités humaines peuvent acquérir une dimension sacrée parce qu’elles participent à l’œuvre divine, que ce soient l’engagement pour la paix, la justice et la solidarité, les initiatives en vue de la sauvegarde de la création et de la protection de l’environnement, ou les efforts thérapeutiques dans les hôpitaux. Partout l’amour de Dieu manifesté en Christ est à l’œuvre. Et il porte encore plus loin en englobant l’univers tout entier. En effet, le Christ n’est pas monté dans un ciel mythique. Mais il est monté par-delà tous les cieux, afin de remplir l’univers (Éph 4,9-10). Ainsi le Christ n’est pas localisable, au-dessus ou à côté de l’univers ; il lui est devenu intérieur. Le ciel où le Christ monte, c’est la face cachée de toute la création. Il est lui-même cette âme invisible de toute la création, qu’il conduit à son achèvement, le point Omega, par un processus que saint Paul lui-même décrit sous l’image d’une naissance cosmique tributaire de notre propre libération [7].

Dans la cinquième méditation qui a pour titre Dieu près de nous, c’est la présence et l’action de l’Esprit qui est au centre du regard intérieur. Painadath affirme que l’Esprit de Dieu agit à toutes les époques, dans toutes les cultures, dans le cœur de tout homme. L’Esprit – ruach, pneuma, spiritus – est le souffle de Dieu. Il est la présence dynamique de Dieu, il est sa vibration fondamentale à partir de laquelle toute la création se développe, il est l’énergie vitale de Dieu qui fait toutes choses nouvelles (cf. 2 Co 5,17). L’Esprit est le fleuve de l’amour divin qui rafraîchit tous les cœurs (cf. Jn 7,38-39). Comme la sève nourrit l’arbre entier, l’Esprit tire son origine du fond caché de Dieu et vivifie toute la création. Comme le courant maintient le fleuve en mouvement, l’Esprit se répand à partir de la source divine cachée et renouvelle le monde. La vie en vient à fleurir dans l’Esprit de Dieu. Nous sommes des êtres vivifiés par le souffle de l’Esprit. Dieu n’a pas quitté le monde. La proximité de l’Esprit transfigurant se manifeste dans les initiatives en vue de la promotion des droits humains, dans les projets écologiques, dans la réhabilitation des exclus, dans l’accueil des réfugiés, dans le dialogue interreligieux, dans l’aspiration à un style de vie plus simple, etc. Tout cela, c’est le seul et même Esprit qui le produit, distribuant à chacun ses dons, selon sa volonté (1 Co 12,11).

Dans les méandres de ses méditations le jésuite indien en arrive, dans sa sixième méditation intitulée Dieu en nous, à ce qui est sans doute le cœur de ses convictions ou plutôt de son expérience mystique. Dieu nous fait devenir participants de la divine nature (2 Pi 1,4). L’Esprit de Dieu transforme notre vie dans la vie nouvelle que nous reconnaissons dans le Christ ressuscité. Et quelle est cette vie ? Les Écritures du Nouveau Testament utilisent plusieurs images pour l’illustrer. Nous sommes membres de la famille de Dieu. L’Esprit lui-même nous atteste que nous sommes enfants de Dieu. Enfants et donc héritiers : héritiers de Dieu, cohéritiers du Christ. L’Esprit fait de nous des fils adoptifs ; en lui nous pouvons crier Abba, Père (Rom 8,15-17).Je suis la vigne, vous êtes les sarments (Jn 15,5). Ces images ne décrivent pas un état, mais un processus de devenir. Notre moi véritable est uni au divin : Ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi (Gal 2,20). Le Christ est en nous (Rm 8,10). Il prend forme en nous (Gal 4,19). Et nous tous … nous sommes transformés en cette même image (du Seigneur), avec une gloire toujours plus grande, par le Seigneur, qui est Esprit (2 Co 3,18). Que le Christ habite en vos cœurs par la foi. … Enracinés et fondés dans l’amour, vous aurez ainsi la force de … connaître l’amour du Christ qui surpasse toute connaissance, afin que vous soyez comblés jusqu’à recevoir toute la plénitude de Dieu (Éph 3,16-19). Les Pères de l’Église des quatre premiers siècles désignent cette transformation par le mot theosis qui veut dire divinisation. Le Verbe est devenu ce que nous sommes pour que nous soyons parachevés en ce qu’il est essentiellement (Irénée de Lyon). Le Verbe est devenu homme pour que nous, les hommes, puissions devenir divins (Athanase). En Jésus, la nature humaine et la nature divine sont enchevêtrées de telle sorte que la nature humaine est divinisée (Origène). Dieu est devenu homme pour que l’homme devienne Dieu (Augustin). Lorsque nous comprenons la foi chrétienne à partir de ce fondement mystique, nous accédons à une conscience de nous-mêmes qui est illuminée par la grâce et nous confère une liberté inouïe et une immense joie. Portés par cette conscience, nous voyons tout dans une lumière nouvelle : nous-mêmes et les autres, joies et souffrances, profession et relations, religions et cultures. Ayant tout reçu, nous pouvons tout donner en contribuant à la construction d’un monde nouveau au lieu d’être des bourreaux de travail cupides et possessifs repliés sur leur quant-à-soi. Par nous, l’Esprit de Dieu transforme et renouvelle le monde. Le monde ancien est passé, voici qu’une réalité nouvelle est là. Tout vient de Dieu … (2 Co 5,17-18).

Dans sa septième et dernière méditation intitulée Dieu par nous Sebastian Painadath nous ramène à la source première de toute mystique voire de toute vie chrétienne. C’est le Dieu qui est amour (1 Jn 4,8). En termes d’éthique, l’amour est une vertu. Pour le regard mystique il est une grâce que nous accueillons avec gratitude. Pour l’intelligence l’amour est une affaire de sentiments. Il ouvre une relation entre moi et toi. C’est le moi qui est le sujet actif de l’amour. Mais dans une perception plus profonde on peut reconnaître que l’amour n’est pas quelque chose que nous générons, mais une force que nous recevons, une énergie cosmique provenant de la source divine. L’amour unit et transfigure tout. Nous recevons le fleuve de grâce de l’amour, mais nous ne le générons pas. Ainsi le moi n’est pas véritablement le sujet de l’amour. Je capte plutôt la vibration divine comme une antenne. Le cœur est comme un vase qui offre de la place à l’Esprit. L’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné (Rm 5,5). Qui vit dans l’amour vit en Dieu et Dieu vit en lui (1 Jn 4,16). Ainsi l’agir suit l’être. L’œuvre est un fruit de la grâce. L’affranchissement de l’ego et l’éveil intérieur au véritable moi sont des préalables fondamentaux d’un amour authentique. Le commandement de l’amour du prochain pourrait s’interpréter comme suit : Tu aimeras ton prochain comme ton véritable moi (cf. Mt 22,39). En fin de compte on ne peut pas dire « Je t’aime ». Il s’agit bien plus d’accueillir le courant d’amour de l’Esprit divin afin qu’il nous unisse et nous transforme, toi et moi, en profondeur. Voilà pourquoi il y a une relation très profonde entre l’amour humain et l’expérience de l’amour divin : Si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous, et son amour, en nous, est accompli (1 Jn 4,12). Aussi l’ultime recommandation de Jésus aux siens, Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés (Jn 15,12), ne vise-t-elle pas seulement l’imitation de Jésus mais une expérience mystique de la présence de l’Esprit du Christ dans notre cœur afin que le fleuve d’amour puisse s’écouler. Une fois de plus l’auteur renvoie à l’image de la vigne et des sarments. Ce qui unit les sarments, c’est la sève qui traverse la vigne à partir de la racine divine. L’amour est un fleuve de grâce que nous recevons. Dans l’amour Dieu transforme par nous le monde fracturé.

Vous vous demandez sans doute, cher Bernard, chères lectrices et chers lecteurs, pourquoi j’ai aussi longuement retracé les méditations du jésuite indien. C’est en effet un défi et une gageure de vous entraîner à ce point dans ce que j’ai appelé les méandres de sa pensée, une pensée circulaire [8] qui tourne autour du sujet, y revient toujours par de nouveaux biais et de nouvelles approches, étant dans cette manière de progresser foncièrement différente de la pensée linéaire de nos esprits cartésiens.

 Bernard Baudelet

J’apprécie la pensée circulaire de ce jésuite indien car toute complexité ne peut pas être abordée d’une manière réductrice, d’une manière linéaire comme si elle pouvait n’être représentée que par un seul mot, la voie emblématique des esprits cartésiens. En effet, Dieu est complexe comme je me suis efforcé de le montrer dans l’essai III. Il en est de même pour l’humain que je trouve multipolaire car infiniment complexe (cf. l’essai VII 1).

Je suis toujours frappé quand je lis des mystiques de toutes les spiritualités, de la surabondance des représentations accumulées comme des taches de couleur des tableaux impressionnistes. Certes, l’ensemble a sa cohérence, sa beauté, sa transcendance. Mais, il est aussi des femmes et des hommes qui vivent « la foi du charbonnier ». Permettez-moi de vous dire, cher Mathias, que je suis plus ému par ceux qui témoignent d’une foi simple, transparente comme le cristal, au service des autres dans l’amour, sans oublier ceux qui sans foi en Dieu, vivent autant qu’ils le peuvent dans l’altérité. En revanche, je me sens écrasé par le mysticisme car l’ensemble m’apparaît comme un édifice éclatant, rassurant mais fragile. En effet, il serait facile de le faire écrouler en retirant une pièce, comme on enlève une carte d’un château de cartes. Je ne le ferai pas car je n’ai pas à vous juger. Nous ne sommes pas dans un débat contradictoire entre deux témoins de sa vérité. Mais, il est peut-être utile à ce niveau de rappeler vos propos lorsque je vous interrogeais sur un certain danger du mysticisme en m’appuyant sur un livre citant des écrits de Maurice Zundel dans l’essai II Vérité de la foi chrétienne en Dieu Dans une première approche, nous pouvons dire que c’est l’expérience d’une communion-présence avec l’inconnu, le surnaturel, Dieu. Cette expérience peut correspondre à un désir profond d’union avec Dieu et s’accompagne souvent d’une sorte d’illumination qui ouvre au regard intérieur une nouvelle vision de soi, de Dieu, des autres et du monde. Ces illuminations mystiques peuvent engendrer en celui qui en est le bénéficiaire des convictions très fortes. Mais, a priori, celles-ci n’ont pas vocation à être érigées en vérités universelles. Elles peuvent, certes, être partagées, mais elles doivent toujours être examinées et vérifiées à l’aune des Écritures et de la Tradition. Finalement, ne doit-on pas croire que le contraire d’une vérité profonde est également une vérité profonde dans les mondes de la complexité. Certes, il en est de même de ma spiritualité sans foi en Dieu dont je reconnais avec humilité les failles, les incohérences mais dont je me nourris avec émerveillement.

Finalement, je crains que le mysticisme, comme tous les communautarismes au risque de vous agacer, ait comme conséquence le rejet des autres voies avec des jugements qui nient l’autre dans son authenticité. J’en fais actuellement l’expérience douloureuse dans un groupe de chrétiens de la Drôme dénommé « Chercheurs de sens », pour lesquels seulement « la voie, la vérité et la vie » sont celles de Jésus-Christ, pour toute l’humanité. En fait, ces bons chrétiens ne sont pas disposés à consacrer du temps à entendre les autres spiritualités. Ils se limitent à des critiques faciles, superficielles et caricaturales qui condamnent toute ouverture à la richesse des autres diversités spirituelles, y compris celles des alter-croyants.

A propos des élans mystiques que vous avez présentés, élans exprimés par des chrétiens baignant depuis leur naissance dans une culture hindouiste, en me référant à leurs noms, je regrette de ne pas avoir ressenti l’apport de cette culture, autrement dit je n’ai pas perçu de ponts possibles entre des traditions spirituelles éloignées. J’aurais préféré que vous citiez Jules Monchanin (1895-1957), un prêtre catholique de Lyon et Henri le Saux 1910-1973), un moine bénédictin, qui ont vécu à la manière des renonçants hindous dans un ashram afin de créer des ponts pour préparer à la venue d’une spiritualité indienne de la Sainte Trinité. Pressé par le temps, je ne peux pas me plonger dans deux livres de ma bibliothèque pour mettre en évidence l’ouverture de ces deux hommes de foi en Jésus Christ, enrichis de la culture hindouiste. Je me limite à cette citation d’une lettre de Jules Monchanin à Henri le Saux datée du 23 janvier 1955 L’Inde doit donner à l’Occident un sens plus aigu de l’éternel, de la primauté de l’Être sur le Devenir. L’Inde en retour doit recevoir de l’Occident un sens plus concret du temporel de la personne, de l’amour. La fonction des médiateurs s’est d’être des vases communicants (et non pas des barrages pour rester dans la métaphore).

De plus, je pense que votre tâche sera plus ardue lorsqu’il s’agira d’aborder des problèmes d’inculturation dans des pays extrême-orientaux comme celui de la Chine (essai VIII 2), dont il sera question dans le prochain essai, le IX. En effet, entendre, comprendre et respecter l’autre, souvent tellement étrange, est une épreuve. Autant, je souhaite que nos lectrices et nos lecteurs vous entendent, vous comprennent et vous respectent, autant je regrette que n’ait pas été, même effleurée, la profondeur des autres spiritualités, notamment par ce jésuite indien. Je connais l’effort de dépouillement et d’humilité que représente de tenter de jeter des ponts sur l’autre rive, sur les autres rives. Non pas, pour arpenter tous les chemins, mais pour se voir avec les yeux des autres et découvrir les autres avec émerveillement. Permettez-moi une métaphore de physicien : je considère que chaque branche de l’humanité s’ouvre à ce qui le dépasse en science, en Dieu ou l’éternel … grâce à sa bande passante, comme celle d’un poste émetteur et récepteur, afin de progresser dans son chemin. Tenter de s’ouvrir aux autres, c’est ouvrir sa propre bande passante en l’enrichissant de celles des autres, afin de mieux entendre, comprendre et finalement respecter l’autre, les autres. Certes, aucun de nous ne pourra capter et émettre toutes les ondes car il faudrait que notre bande passante soit infinie. Ici est notre finitude. Cependant, elle ne permet pas telle la grenouille de la fable de se faire aussi grosse que le bœuf.

 Mathias Schiltz

Je vous concède, cher ami, que j’aurais pu recourir à d’autres références. Comme vous, j’ai également un grand respect devant la foi du charbonnier qui est au service des autres dans l’amour. Mais faut-il l’opposer à la foi des mystiques ? Les plus grands mystiques de la chrétienté ont été en général des hommes et des femmes d’action comme sainte Thérèse d’Avila ou la bienheureuse Teresa de Calcutta [9].

Votre assimilation du mysticisme [10] aux communautarismes ne laisse pas de me surprendre. Je pense au contraire que la mystique authentique ouvre sur l’universel.

Que les expériences mystiques doivent être passées au crible de la doctrine ne fait pas de doute, mais elles sont un chemin privilégié de communion avec Dieu. À ce titre elles sont et restent une voie royale de la foi.

Alors, en suivant de près la démarche de Sebastian Painadath, aurais-je voulu donner à nos lectrices et lecteurs une leçon de mystique chrétienne ? Subrepticement, peut-être ... Où est-ce pour en arriver à une harmonisation de la conception du divin dans les religions et sagesses asiatiques, d’une part, et le christianisme, d’autre part, dans une démarche syncrétiste ? Certainement pas, car pour la foi chrétienne l’altérité de Dieu par rapport au monde n’est pas négociable. Mais si Dieu est distinct du monde et des hommes, il n’en est pas lointain, absent, séparé. Il leur est proche, il leur est intérieur, il habite en l’homme et le fait vivre. C’est tout le sens de l’incarnation.

Dès lors les méditations que j’ai essayé tant bien que mal de transposer en français sont pour moi une série de pierres d’attente laissant entrevoir que le fossé entre les mentalités asiatique et occidentale n’est pas aussi radical et abyssal que vous ne le pensez, cher Bernard. Selon moi, ces méditations esquissent en perspective une voie vers une meilleure compréhension et entente entre des univers culturels marqués soit par les lumières de l’Extrême-Orient, soit par le message chrétien, dans la richesse de leurs diversités. Dans l’essai VII 2 vous avez fait état de la capacité d’ouverture de la Chine à la pensée occidentale. La réciproque ne serait-elle pas vraie, à condition, évidemment, que l’Occident reprenne conscience de ses racines et que les chrétiens, notamment, retrouvent les fondements – mystiques – de leur foi ? Dans le matérialisme ambiant où baigne notre société actuelle cela ne va, certes, pas de soi, la plupart de nos contemporains pensant sans doute, à l’instar du juge cité plus haut, que la mystique n’est pas leur affaire. Encore que parmi les hommes les plus engagés dans notre monde il en est plus d’un qui cultive cette veine.

Au niveau des mystiques chrétiens contemporains, je me limiterai à prendre à témoin la grande figure du deuxième Secrétaire général des Nations Unies, Dag Hammarskjöld, que John F. Kennedy a considéré comme le plus grand homme d’État du 20e siècle. Après sa mort tragique en 1961, on a publié son journal spirituel tenu durant 36 ans sous le titre de Markings [11]. Ce document témoigne de sa profonde spiritualité nourrie des grands maîtres médiévaux Maître Eckhart et Jan van Ruysbroek.

Par ailleurs, je connais au-delà du monde chrétien proprement dit de nombreuses personnes – et vous en êtes, cher ami, – qui cherchent à donner à leur existence ou à y trouver une dimension spirituelle grâce à l’art sous toutes les formes, notamment par la musique. Certains de mes amis ou de mes bonnes connaissances ont l’habitude de fréquenter les matinées musicales qui ont lieu à la Philharmonie de Luxembourg le dimanche à 11 heures, au moment où je célèbre la messe en l’église Saint-Michel. Sans vouloir mettre en équivalence les deux rassemblements, il m’arrive de dire que c’est leur messe. Charles Baudelaire n’a-t-il pas dit : La musique creuse le ciel, à la suite de Platon qui a affirmé que la musique et le rythme trouvent leur chemin vers les endroits les plus secrets de l’âme. [12] Dans la foulée le grand musicien Pablo Casals a confié qu’il jouait les six suites pour violoncelle de Jean Sébastien Bach une à une comme sa prière quotidienne du lundi au samedi et qu’il reprenait la sixième le dimanche.

 Bernard Baudelet

L’art, la musique notamment, élève notre esprit. Les artistes ouvrent nos âmes, présence ou non de Dieu en chacun de nous, à la beauté. C’est un rappel de l’importance des voies immatérielles pour se sentir en communion avec les œuvres des Hommes [13] et les émerveillements de la nature. Cependant, ma voie spirituelle ne se réduit pas à l’art. En effet, elle me relie à tous les femmes et les hommes de bonne foi qui sèment des graines d’espérance pour l’humanité de demain et qui font fructifier celles que d’autres ont semé avant eux et pour eux. Cette communion, cette union avec, donne sens et transcendance à ma vie.

 Mathias Schiltz

Sur un tout autre registre je vois un signe d’espoir dans le fait que des représentants des grandes religions mondiales (chrétiens, Juifs, Musulmans, Sikhs, Bouddhistes et Bahá’i) ont participé dans un groupe placé sous le haut patronage du Dalai Lama au ING Night Marathon qui s’est déroulé ces jours-ci à Luxembourg. Pour la première fois une quinzaine de moines bouddhistes du Japon ont participé à cet événement encadré par une session de rencontre interreligieuse. Ils avaient, préalablement séjourné à l’Abbaye de Clervaux où nous avons tous les deux, cher ami, jeté les bases de nos échanges, en octobre dernier. Ce monastère serait-il en passe de devenir un haut-lieu du dialogue interreligieux ? Les moines japonais furent également reçus par l’Archevêque de Luxembourg, le Père Jean-Claude Hollerich, qui a séjourné et travaillé au Japon pendant une bonne vingtaine d’années.

Cette large quête de dialogue me permet de garder l’espoir d’un rapprochement entre des univers culturels a priori si différents, un rapprochement qui passera nécessairement, j’en suis convaincu, par la voie de la spiritualité, qu’elle soit religieuse, voire mystique, ou non.

À ce propos j’aimerais faire mienne, en la variant quelque peu, la célèbre phrase attribuée à André Malraux, dont vous avez, cher ami Bernard, contesté l’authenticité dans l’essai VII 2 : Le XXIe siècle sera spirituel ou il ne sera pas. Peu importe si Malraux l’a bien prononcée (André Frossard prétend l’avoir entendue de sa bouche au mois de mai 1968 [14]) et quelle que soit la formulation précise qu’on lui prête, cette affirmation exprime, l’aspect prophétie mis à part, une profonde conviction du grand écrivain et homme d’action, comme le suggère e. a. une parole publiée sous sa signature dans un article de L’Express du 21 mai 1955 intitulé L’homme et le fantôme : Je pense que la tâche du prochain siècle, en face de la plus terrible menace qu’ait connue l’humanité, va être d’y réintégrer les dieux. C’est aussi ce qui ressort d’une interview donnée pour Le Point du 10 décembre 1975 : Je n’exclus pas la possibilité d’un événement spirituel à l’échelle planétaire. La vision du Milieu divin de Teilhard de Chardin serait-elle sur le point de se réaliser ?

C’est par une citation de ce grand ouvrage que je voudrais conclure ce parcours et une fois de plus préciser mon propos : Prouver, par une sorte de vérification tangible, que … le Christianisme le plus traditionnel, celui du Baptême, de la Croix et de l’Eucharistie, est susceptible d’une traduction où passe le meilleur des aspirations propres à notre temps, voilà le but de cet Essai de vie, ou de vision intérieure (ces aspirations étant de nos jours celles d’un monde globalisé à la recherche d’une meilleure entente, d’un consensus fondamental, d’un éthos commun) [15].

 Bernard Baudelet

Les conclusions de votre intervention me vont droit au cœur. En effet, j’espère comme vous que le XXIème siècle sera spirituel car s’il ne l’est pas, il poursuivra sa marche dans le matérialisme qui dessèche l’humain. C’est pourquoi, j’entends avec reconnaissance et plaisir la grandeur spirituelle du message de Jésus Christ et j’aimerais que toutes les Églises chrétiennes, catholicité comprise, deviennent de plus en plus des témoins de cette aspiration à un monde meilleur. Il est frappant que les lectures des trois ou quatre derniers livres récemment publiés et écrits par des économistes de renom, visent à proposer une alternative au capitalisme libéral qui rend les riches toujours plus riches et les pauvres toujours plus pauvres, un monde meilleur que celui que nous offrons à la jeune génération. C’est le défi humaniste de notre temps et je me réjouis de constater que le pape François suit cette voie.

Autant je crois en la vérité d’un monde qui témoigne des valeurs immatérielles car c’est la noblesse de l’humain, selon mon regard, autant je crains ceux qui prétendent que leur voie spirituelle est la vérité pour toute l’humanité. A ce niveau, se trouve le thème du relativisme qui pour ceux qui le nient, est le pire des maux puisqu’il accorde aux autres une part de vérité. Comment concilier une foi authentique comme la vôtre avec des élans de foi non moins authentiques au sein d’autres spiritualités ? Aussi, j’attends avec impatience vos réflexions sur le relativisme. Ne sommes-nous pas à cette étape de notre série d’essais sur La vérité, de devoir oser proposer une innovation comportementale, en fait une innovation sociétale à l’échelle planétaire ?

 Mathias Schiltz

Le relativisme a été la grande hantise du Cardinal Joseph Ratzinger, puis du Pape Benoît XVI. Déjà dans les grands textes de Jean-Paul II concernant la vérité, Veritatis Splendor (1993) et Fides et ratio (1998), tributaires pour une part non négligeable de la pensée du Préfet de la Congrégation pour le doctrine de la foi, les mises en garde contre le relativisme sont fort nombreuses et insistantes [16]. Personnellement le Cardinal Ratzinger avait pris ses distances par rapport à la première Rencontre d’Assise en 1986 en s’abstenant d’y participer et en alertant les fidèles catholiques sur le risque de tomber dans une sorte de « relativisme », où toutes les religions seraient mises sur le même plan.

Dès avant son élection comme Pape, il affirmait le 18 avril 2005 devant ses collègues rassemblés en préconclave : Tout part de la récupération d’une foi convaincue, qui l’emporte sur le relativisme. … Avoir une foi claire, selon le Credo de l’Eglise, est souvent étiqueté comme fondamentalisme. Alors que le relativisme, soit se laisser porter ici et là par n’importe quel vent de doctrine, apparaît comme l’unique attitude à la hauteur des temps modernes. Les commentateurs parlent d’une mise en garde contre la dictature du relativisme. C’est sans doute le programme sur lequel Joseph Ratzinger a été élu et comme une anticipation de ce qui marquera profondément son pontificat. Car devenu Pape, il ne manquera guère une occasion de s’élever contre ce qu’il appelle le grand fléau de notre époque.

Il ne le fait pas seulement dans ses grands textes [17] mais tout au long de son enseignement ordinaire et de ses discours d’occasion [18]. Pour le 25e anniversaire de la première Rencontre d’Assise, il a cependant invité les représentants des grandes religions mondiales à un nouveau Rassemblement pour favoriser la paix entre religions et grâce aux religions, tout en prenant soin de manifester qu’il ne s’agissait pas de syncrétisme, mais d’un dialogue entre les religions, à partir de leurs valeurs fondamentales et sur la base des valeurs humaines fondamentales, notamment en ce qui concerne les non-croyants associés aux échanges.

Que dire au vu de ces positions très fermes du magistère catholique. Ai-je succombé au piège de ce fléau si âprement fustigé ? Pour un catholique, y a-t-il place pour un relativisme relatif ? Vous me pardonnerez l’expression paradoxale, mais les choses ne sont pas si simples. Essayons d’y regarder de plus près.

J’ai déjà signalé dans l’essai I (Vérité en sciences) l’affirmation surprenante du jeune professeur Ratzinger : Il ne faut pas se méprendre. Le relativisme n’est pas de toutes pièces quelque chose de mauvais. S’il conduit à la reconnaissance de la relativité de toutes les réalisations culturelles humaines et par-là à une modestie réciproque, il peut servir à une nouvelle entente entre les hommes et aider à ouvrir des frontières qui semblaient jusque-là fermées [19].

 Bernard Baudelet

Je confirme mon accord avec cette citation car, comme je l’ai développé dans l’essai I, le relativisme notamment en science est une attitude saine car il permet de ne fermer aucune porte à d’autres théories scientifiques puisqu’aucune n’est la vérité. Ce sont des représentations pour comprendre un peu mieux les phénomènes naturels complexes et leur donner une interprétation. Alors, je ne suis pas surpris de cette déclaration du futur pape puisqu’en tant qu’universitaire, il savait bien que toutes les réalisations humaines sont relatives. En effet, elles doivent évoluer, voire être contredites.
Là où le bât blesse, c’est lorsque sont abordées des vérités de foi, soit révélées à l’humanité par Dieu soit découvertes lors d’illumination par des maîtres. Dans le premier cas, je comprends l’impossibilité pour un chrétien de remettre en question ce que Jésus a proclamé Je suis le chemin, la vérité, et la vie. Nul ne vient au Père que par moi (Jn 14 6) car cette déclaration est sans équivoque. Elle indique que Christ est le chemin que Dieu nous a donné, qu’il est la vérité et la vie que Dieu nous a léguées [20]. Il serait aisé de citer des sourates dans le Coran qui convainquent les musulmans, d’être les disciples de la dernière révélation de Dieu, leur conférant ainsi une préséance sur les révélations antérieures, d’autant plus que JC est considéré par eux comme un prophète au même titre que Mahomet. Dans le second cas, il est demandé aux disciples de s’engager dans la voie du maître, avec la certitude que ce chemin est la vérité et la vie. Alors tout relativisme est impossible en profondeur. Dans la lumière de sa voie, chacun affirme que son chemin est vrai. Il l’est pour lui sans aucun doute et c’est pourquoi, cher Mathias, je vous entends avec un infini respect. Cependant, avec mon regard, aucune voie spirituelle ne peut être universelle car elle a été entendue, transmise, vécue par des hommes dans un monde totalement complexe, celui de Dieu ou de l’éternel (essai III), par des femmes et des hommes infiniment complexes eux-mêmes (essai VII 1). Nous ne pouvons que balbutier. La grande tentation est alors de sortir de cette complexité en considérant des représentations comme des vérités absolues. Les scientifiques, les philosophes, les politiques … n’échappent pas cette erreur et je suis convaincu qu’il en est de même pour les femmes et les hommes de foi en un-delà après la mort. Rassurez-vous, l’alter-croyant que je suis, ne brandira plus l’étendard de la vérité, comme je l’ai fait lors de ma conversion de la foi en Dieu vers l’athéisme, une conversion allant dans le sens opposé de celle de Paul Claudel (essai VI). J’ai grandi depuis en m’enrichissant auprès de ceux qui ne suivent pas mon chemin.

 Mathias Schiltz

À moins d’avoir changé d’idée, Ratzinger-Benoît XVI n’exclut donc pas a priori toute forme de relativisme. Peut-être pouvons-nous voir un relent de cette ouverture lointaine dans cet énoncé d’un document préparatoire au Synode des Évêques sur la nouvelle Évangélisation : Ce risque (d’un climat général de relativisme) ne doit pas faire perdre de vue tout le positif que le christianisme a appris de la confrontation avec la sécularisation. Le saeculum dans lequel vivent les croyants et les non-croyants a quelque chose qui les rapproche : l’humain [21]. La suite du texte qualifie l’élément humain comme point d’intersection de la foi. Mais n’est-il pas aussi, cher Bernard, le point d’intersection de nos échanges ?
Voilà quelques signaux, peut-être trop discrets et à peine perceptibles, qui permettent de parler d’un relativisme relatif ou différencié. Mais une analyse plus serrée des textes du magistère incite également à voir les mises en garde contre le relativisme comme un paysage à relief. J’ai déjà relevé plus haut que ces mises en garde concernent plusieurs domaines différents : théologique, philosophique, moral, éthico-politique.
Pour ce qui est du domaine de la foi proprement dite, du moins dans sa substance, le croyant ne peut légitimement prendre une position relativiste. Croire signifie, certes, bien plus que dire « c’est vrai », mais la foi implique aussi cette dimension-là. Vous me concéderez, cher Bernard, que le croyant ait sa vérité. Mais pour lui, c’est la vérité qu’il cherche à partager avec d’autres. Cela ne l’empêchera pas, dans le monde pluraliste où nous vivons, de faire la connaissance d’autres convictions, de les respecter et d’entrer en dialogue avec elles pour y découvrir éventuellement des convergences et un fonds commun de valeurs, tel précisément l’humain dont il est question dans le texte cité ci-avant. Par ailleurs, le fait d’avoir une position n’empêche pas le dialogue, il en est peut-être même une condition indispensable. Rappelons la belle consigne de la pièce Pierre et Mohamed  : Découvrir l’autre, vivre avec l’autre, entendre l’autre, se laisser façonner par l’autre, cela ne veut pas dire perdre son identité, rejeter ses valeurs, cela veut dire concevoir une humanité plurielle, non exclusive. [22] Un postulat similaire est formulé par le célèbre psychiatre Carl Gustav Jung : Nur indem wir feststehen auf eigener Erde, können wir den Geist des Ostens assimilieren.- Seulement si nous sommes fermement ancrés dans notre propre terre, nous pouvons assimiler l’esprit de l’Orient. [23] Vouloir partager ses convictions implique évidemment toujours une observation rigoureuse des exigences de la liberté religieuse. Il n’appartient à aucune religion de faire violence à une autre ; un culte doit être embrassé par conviction et non par violence [24].

 Bernard Baudelet

Je note avec plaisir que nous sommes sur la même longueur d’onde. En effet, je redoute autant le syncrétisme, une sorte de macédoine qui permettrait à chacun de retrouver ses légumes préférés sans se nourrir des autres, que les groupes communautaristes qui campent sur leurs certitudes alors que, comme vous le dites, ce sont des convictions. Évidemment, je bannis comme vous, toute violence attisée par des religions différentes ou plus sûrement par des intérêts politiques et économiques se servant des religions. Enfin, je crois également que tout échange implique que chacun accueille l’autre tout en demeurant dans ses convictions, mais avec une exigence éthique qu’il convient de souligner. A cet égard, je tiens à citer le Père Adolfo Nicolas, général des jésuites, qui rappelait son espérance à l’approche du Synode pour « la nouvelle évangélisation », qu’à cette occasion nous pourrons être touchés par ce principe : chacun porte une étincelle de Dieu qu’il nous faut trouver. J’aurais préférer lire « une étincelle d’amour » mais je sais que pour les chrétiens c’est la même identité. Revenant sur son expérience de 48 ans en Asie, le « pape noir » reconnaît de plus, que, peut-être, nous les missionnaires, nous avons été faibles. Et il s’explique : Nous n’avons pas assez cherché Dieu, et son œuvre, dans les autres cultures et dans les autres personnes. Apporter cette richesse de Dieu à l’Église universelle est toujours un défi. Bien avant l’arrivée des missionnaires, Dieu était à l’œuvre chez les croyants en d’autres fois, et chez les non-croyants [25]. Ici encore, je traduis « l’amour était et est en chemin chez toutes les femmes et les hommes de bonne foi ». Enfin, je suis convaincu que le monde complexe que vous abordez dans cet essai, peut et doit s’enrichir des autres voies de spiritualité, y compris celle(s) des alter-croyants, de même que je grandis chaque jour en partageant avec des personnes éloignées de mes convictions, sans les juger.

Quant aux valeurs, je suis persuadé qu’elles constituent le lien qui pourrait ou devrait rapprocher tous les humains dans les diversités de leurs spiritualités notamment, à condition que ce soit dans l’esprit des Rencontres d’Assise et non pas par une reconquête, une sorte de contre-réforme, qui me navre. J’apprécierais, mon cher Mathias, que vous nous fassiez part de votre éclairage sur les valeurs qui permettraient d’entendre les autres.

 Mathias Schiltz

Mes considérations se rapportant au domaine de la foi valent également en matière de morale et, d’une façon sans doute moins contraignante, dans le champ philosophique. Un problème particulier surgit dès que nous nous tournons vers le domaine éthico-politique où il s’agit de jeter les fondements de valeurs sur lesquels une société peut élaborer son droit et ses règles de vie élémentaires. Une société peut-elle à ce propos se contenter d’un relativisme général ? C’est la question à laquelle le Pape Benoît XVI a consacré naguère son discours devant le Bundestag à Berlin en proposant à ses auditeurs quelques considérations sur les fondements de l’État de droit libéral ou réflexions sur les fondements du droit. Pour mettre en évidence l’importance capitale du droit, le Pape prend à témoin saint Augustin : Enlève le droit – et alors qu’est-ce qui distingue l’État d’une grosse bande de brigands ? [26] Et pour conforter son propos, il en appelle à l’histoire récente de l’Allemagne où le phantasme de l’État brigand, foulant le droit aux pieds, était devenu réalité.
Revenant à la question de la formation du droit, il déclare : Pour une grande partie des matières à réguler juridiquement, le critère de la majorité peut être suffisant. Mais il est évident que dans les questions fondamentales du droit, où est en jeu la dignité de l’homme et de l’humanité, le principe majoritaire ne suffit pas. Et il poursuit : Ce qui, en référence aux questions anthropologiques fondamentales, est la chose juste et peut devenir droit en vigueur, n’est pas du tout évident en soi aujourd’hui. À la question de savoir comment on peut reconnaître ce qui est vraiment juste et servir ainsi la justice dans la législation, il n’a jamais été facile de trouver la réponse et aujourd’hui, dans l’abondance de nos connaissances et de nos capacités, cette question est devenue encore plus difficile. À la recherche d’un fondement commun, il se réfère à la notion de droit naturel qu’il accepte cependant de discuter. Il parle d’une écologie de l’homme et fait finalement appel à la culture de l’Europe, née de la rencontre entre Jérusalem, Athènes et Rome, qui forme l’identité profonde de l’Europe.
Quoi qu’il en soit du détail de l’argumentation du Pape, son discours met en évidence l’urgence d’un large consensus sociétal sur les valeurs comme condition d’une législation qui soit au service de l’humain. Pour être juste, le droit a besoin d’un fondement meta-juridique, Qui le fournira ? Ce n’est certainement plus l’Église. Cela ne peut pas non plus être l’État démocratique et pluraliste qui est par définition neutre en matière de valeurs et ne peut dès lors lui même générer les concepts de valeur et les convictions indispensables au vivre-ensemble de la société. Cette tâche incombe à la société civile, notamment aux forces vives qui se vouent à cultiver de telles valeurs. Le consensus ou le fondement meta-juridique du droit sera le fruit d’un dialogue aussi large que possible entre ces forces, un dialogue qui ne peut aboutir s’il se résigne tout simplement au relativisme général, voire si on élève celui-ci au rang de principe suprême ou si on en préconise la promotion comme vous semblez, soit dit en toute amitié et respect de vos convictions, le faire, cher Bernard, dans l’essai VII 2. Pour aboutir le dialogue dont il s’agit ne peut faire complètement l’impasse sur la vérité au sens étymologique du terme grec a-leithia qui désigne ce qu’il ne faut en aucun cas oublier.
C’est sur cette conviction que se base également la Fondation Éthique Planétaire qui propose non pas un consensus interreligieux réduit au minimum, mais une reconnaissance des normes indispensables et des valeurs universelles, reconnaissance sans laquelle un ordre mondial durable ne serait pas possible. Le dialogue visant un tel but est sans doute long et ardu. Telle la toile de Pénélope, il doit être remis sur le métier à chaque époque à nouveaux frais. Mais je suis convaincu qu’il va s’acheminer, de façon asymptotique, vers le point Omega où l’humanité, une et indivise, sera enfin définitivement réconciliée parce que Dieu sera tout en tous (1 Co 15,28).
 Bernard Baudelet
Je ne prône pas un relativisme général et je vous prie de me pardonner si j’ai donné l’impression d’en faire la promotion. En revanche, je suis convaincu de l’impossibilité d’une spiritualité universelle, d’un mode politique universel … et pas plus d’une science universelle comme je m’en suis expliqué dans l’essai I. Dans cet esprit, je suis évidemment défavorable à un consensus interreligieux réduit au minimum, du style « tout le monde il est beau, il est gentil », une macédoine indigeste. Je souscris totalement à une reconnaissance des normes indispensables et des valeurs universelles afin de développer notre tolérance. Cependant, le piège dans lequel il ne faudrait jamais tomber, est de retenir comme normes et valeurs, celles de la majorité ou du groupe qui détient le pouvoir. Reconnaissons que des progrès énormes devraient être accomplis afin que les femmes ne subissent plus les normes des hommes comme ça se produit dans de très nombreux pays, y compris chez nous, afin que les émigrés, les handicapés, les homosexuels, les pauvres sans moyen de faire reconnaître leur droit, les personnes dont la spiritualité ou la religion est minoritaire … n’aient plus à supporter les dictats de ceux qui détiennent les pouvoirs. De même, afin que les États en détresse en ce temps de crise économique n’aient pas à se soumettre, au risque de disparaître dans la récession, aux normes économiques définies par des organismes internationaux comme le FMI, qui vient de reconnaître ses erreurs dans la gestion de la situation en Grèce. Cette espérance, je la partage avec vous, même si mon pessimisme me fait craindre le pire [27].

 Mathias Schiltz

Je ne suis pas optimiste, mais je suis un homme d’espérance, peut-être au sens de l’espérance contre toute espérance.
Dans cette espérance je vous invite tous, chères lectrices et lecteurs, à partager avec moi ce beau poème anglais qui est au fond une prière :

May we all be in peace, peace and only peace ; and may that peace come unto each of us.Gather us in : Thou love that fillest all ;
Gather our rival faiths within thy fold.
Rend each man’s temple-veil and bit it fall,
That we may know that Thou hast been of old.
Gather us in : we worship only Thee ;
In varied names we stretch a common hand ;
In diverse forms a common soul we see ;
In many ships we seek one spirit-land.
Each sees one colour of thy rainbow-light ;
Each looks upon one tint and calls it heaven ;
Thou art the fullness of our partial sight ;
We are not perfect till we find the seven.

(Jonathan Willcocks, Lux Perpetua, Peace and Unity)

[1Sebastian Painadath, Gott mit uns, etc. in : Christ in der Gegenwart, 7-13/2013.

[2Claude Geffré, De Babel à la Pentecôte. Essai de théologie interreligieuse. Paris 2006, p. 48.

[3Jean-Paul II, Encyclique Ut unum sint, 28 ; cf. Concile Vatican II, Constitution Lumen Gentium, 13.

[4Ce ne sont pas les bien portants qui ont besoin de médecin, mais les malades (Mt 9,12 et parall.).

[5Elle affleure cependant dans certaines prières de la liturgie officielle. Ainsi la prière après la communion de la Fête-Dieu (Solennité du Sacrement du Corps et du Sang du Christ) parle de la jouissance éternelle en latin fruitio) de la divinité dont nous avons ici-bas l’avant-goût. Ce n’est pas sans importance au vu du principe Lex orandi, lex credendi – la règle de la prière est la règle de la foi).

[6Cf. Œuvres de Pierre Teilhard de Chardin, tome 4, Le Milieu Divin. Essai de vie intérieure, Paris 1957.

[7La création attend avec impatience la révélation des fils de Dieu : livrée au pouvoir du néant – non de son propre gré, mais par l’autorité de celui qui l’y a livrée – elle garde l’espérance, car elle aussi sera libérée de l’esclavage de la corruption, pour avoir part à la liberté et à la gloire des enfants de Dieu. Nous le savons en effet, la création tout entière gémit maintenant encore dans les douleurs de l’enfantement (Rm 8,19-22).

[8J’ai fait la rencontre de cette pensée circulaire pour la première fois dans l’encyclique initiale de Jean Paul II Redemptor Hominis publiée le 4 mars 1979. Au moment de la parution j’étais à Rome pour un congrès et j’en ai fait la remarque à certains de mes collègues. L’un deux m’a dit : c’est la pensée slave. Suffirait-il dès lors de s’éloigner un peu vers l’Est pour que notre pensée linéaire doive céder le pas à un autre mode ?

[9Dans l’encyclique Deus Caritas est (n°36) le Pape Benoît XVI rappelle à quel point Mère Teresa est un exemple particulièrement manifeste que le temps consacré à Dieu dans la prière non seulement ne nuit pas à l’efficacité ni à l’activité de l’amour envers le prochain, mais en est en réalité la source inépuisable. Dans sa lettre pour le Carême 1996, la bienheureuse écrivait à ses collaborateurs laïques : Nous avons besoin de ce lien intime avec Dieu dans notre vie quotidienne. Et comment pouvons-nous l’obtenir ? À travers la prière.

[10Je préfère dire mystique, car mysticisme a pour moi comme tous les ismes une connotation négative.

[11Random House, Inc., New York 1964. En exergue de la publication, les éditeurs ont placé cette parole de Lord Acton : To the symmetrical natures religion is indeed a crown of glory ; nevertheless, so far as this world is concerned, they can grow and prosper without it. But to the unsymmetrical natures religion is a necessary condition of successful work even in this world. C’est dire l’importance capitale que la dimension spirituelle avait dans la vie de Hammarskjöld. Et je suis personnellement convaincu que nous sommes tous des natures asymétriques. – Dans notre contexte, il est intéressant de noter également que dans ses écrits Dag Hammarskjöld s’inspirait du style haiku de la poésie japonaise.

[12Plus explicitement le grand philosophe grec a célébré la beauté et les mérites de la musique en ces termes : La musique est une loi morale, / Elle donne une âme à nos cœurs, / des ailes à la pensée, / un essor à l’imagination. – Elle donne un charme / à la tristesse, à la gaieté, à la vie, / à toute chose. – Elle est l’essence du temps et s’élève / à tout ce qui est de forme, invisible / mais cependant éblouissante / et passionnément éternelle. – Pour souligner l’universalité de cette pensée, qu’il soit permis de citer une légende persane. Elle rapporte que Dieu aurait créé l’homme par la musique. D’abord il forma, comme dans la Bible, une statue d’argile, à son image. Puis il essaya d’insuffler une âme à ce corps terreux. Mais l’âme, qui est par nature libre et volatile, ne voulait pas entrer dans cette prison. Alors Dieu ordonna aux anges de faire de la musique. Sans tarder, l’âme se mit à danser et à entrer en extase. Et finalement, elle éprouva le désir de faire elle aussi de la musique. Mais, à cet effet, elle avait besoin de la matière terrestre, et c’est ainsi qu’elle entra dans le corps que Dieu lui avait préparé. La légende ajoute que l’âme, en réalité, est faite de musique et que celui qui ne chante pas et ne fait pas de musique, n’est pas vraiment créé à l’image de Dieu.

[13Titre d’un article publié par Bernard Baudelet dans la Warte le 14 juin 2012.

[14André Frossard, Interview dans Le Point du 5 juin 1993. Cf. Brian Thompson : « « Nul n’est prophète » : Malraux et son fameux « XXIe siècle » ». Communication proposée au colloque « Malraux et les valeurs spirituelle du XXIe siècle », Belfast, Queen’s University, 30 août – 1er septembre 2007, in : Revue électronique art. 4, janvier 2009.

[15O. c., Avertissement, p. 18. Cf. Hans Küng u.a., Zahlreiche Publikationen zum Weltethos (Stiftung Weltethos – Global Ethic Foundation – Fondation Éthique Planétaire.

[16Veritatis Splendor, n° 101 : Dans de nombreux pays, après la chute des idéologies qui liaient la politique à une conception totalitaire du monde — la première d’entre elles étant le marxisme —, un risque non moins grave apparaît aujourd’hui … : c’est le risque de l’alliance entre la démocratie et le relativisme éthique qui retire à la convivialité civile toute référence morale sûre et la prive, plus radicalement, de l’acceptation de la vérité. En effet, s’il n’existe aucune vérité dernière qui guide et oriente l’action politique, les idées et les convictions peuvent être facilement exploitées au profit du pouvoir. Une démocratie sans valeurs se transforme facilement en un totalitarisme déclaré ou sournois, comme le montre l’histoire. Dans toute l’encyclique le terme relativisme revient, toujours dans un contexte de mise en garde, jusqu’à six fois, qu’il s’agisse du relativisme théologique, philosophique, moral ou éthico-politique.
Fides et ratio, n° 5 : La pluralité légitime des positions a cédé le pas à un pluralisme indifférencié, fondé sur l’affirmation que toutes les positions se valent : c’est là un des symptômes les plus répandus de la défiance à l’égard de la vérité que l’on peut observer dans le contexte actuel. Certaines conceptions de la vie qui viennent de l’Orient n’échappent pas, elles non plus, à cette réserve ; selon elles, en effet, on refuse à la vérité son caractère exclusif, en partant du présupposé qu’elle se manifeste d’une manière égale dans des doctrines différentes, voire contradictoires entre elles. Dans cette perspective, tout devient simple opinion. Ici encore, il est quatre fois explicitement question du relativisme, toujours dans la même ligne.

[17Benoît XVI, Encyclique Caritas in veritate (2009) :
N° 26 : Cela favorise un glissement vers un relativisme qui n’encourage pas le vrai dialogue interculturel ; sur le plan social, le relativisme culturel conduit effectivement les groupes culturels à se rapprocher et à coexister, mais sans dialogue authentique et, donc, sans véritable intégration. En second lieu, il existe un danger constitué par le nivellement culturel et par l’uniformisation des comportements et des styles de vie. De cette manière, la signification profonde de la culture des différentes nations, des traditions des divers peuples, à l’intérieur desquelles la personne affronte les questions fondamentales de l’existence en vient à disparaître.
Benoît XVI, Exhortation Verbum Domini (2010) :
N° 117 : L’Église reconnaît comme une part essentielle de l’annonce de la Parole, la rencontre et le dialogue avec tous les hommes de bonne volonté, en particulier avec les personnes appartenant aux diverses traditions religieuses, en évitant toute forme de syncrétisme et de relativisme, et en suivant les lignes indiquées par la Déclaration du Concile Vatican II Nostra aetate, et précisées par le Magistère ultérieur des Souverains Pontifes. Le rapide processus de la mondialisation, caractéristique de notre époque, offre la possibilité de vivre dans un contact plus étroit avec des personnes de culture et de religions diverses. Il s’agit d’une opportunité providentielle pour manifester comment un authentique sens religieux peut promouvoir entre les hommes des relations de fraternité universelle. Il est d’une grande importance que les religions puissent favoriser dans nos sociétés, souvent sécularisées, un regard qui voit en Dieu Tout-Puissant le fondement de tout bien, la source inépuisable de la vie morale, le soutien d’un sens profond de la fraternité universelle.

[18Parmi ceux-ci il faut signaler avant tout son discours devant le Bundestag à Berlin, le 22 septembre 2011, auquel nous aurons à revenir.

[19Cette citation est tirée d’un discours prononcé à Gênes en 1961 par le Cardinal Josef Frings, mais qui est de l’aveu de l’orateur tout entier de la plume de son théologien Joseph Ratzinger. (Cf. Erich Garhammer, Woher der Bruch ? Joseph Ratzinger und das Zweite Vatikanische Konzil, in : Herder Korrespondenz Spezial, Konzil im Konflikt, Oktober 2012, 39-43, ici p. 40 sv.).

[20Le discours prononcé à la Sorbonne, à Paris sur la vérité du christianisme le 27 novembre 1999 par le Cardinal Joseph Ratzinger, Préfet de la congrégation pour la Doctrine de la Foi et futur pape, est un chef d’œuvre de certitudes. Sa conclusion est sans ouverture aux autres spiritualités : La tentative pour redonner, en cette crise de l’humanité, un sens compréhensif à la notion de Christianisme comme religio vera, doit pour ainsi dire miser pareillement sur l’orthopraxie et sur l’orthodoxie. Son contenu devra consister, au plus profond, aujourd’hui - à vrai dire comme autrefois - en ce que l’amour et la raison coïncident en tant que piliers fondamentaux proprement dits du réel : la raison véritable est l’amour et l’amour est la raison véritable. Dans leur unité, ils sont le fondement véritable et le but de tout le réel.

[21Synode des Évêques, XIIIe Assemblée générale ordinaire : La Nouvelle Évangélisation pour la Transmission de la Foi chrétienne, Instrumentum laboris (19 juin 2012), n° 54.

[22Adrien Candiard, Pierre et Mohamed, pièce créée pour le Festival d’Avignon de 2011. Production : Compagnie Aircac, Province Dominicaine de France, Foi et Culture – Avignon. – Voir aussi : Pierre Claverie, Lettres et messages d’Algérie. Éditions Karthala, Paris, 1996.

[23Cité par Volker Wehdeking, Epiphanie durch Erlebnis, nicht durch Lehre – zur ,indischen Dichtung’ Siddhartha, in : J. Ulrich Binggeli (Hg), Resonanzen auf Hermann Hesse. „Heimweh nach Freiheit“. Tübingen 2012, S. 291.

[24Quintus Septimius Florens Tertullianus.

[25Journal La Croix du 4 avril 2012

[26De civitate Dei IV, 4, 1.

[27Il est intéressant de lire sous la plume de deux économistes cet extrait en page 291 du livre Un new deal pour l’Europe, publié en mars 2013 par Michel Aglietta et Thomas Brand aux Éditions Odile Jacob. Jean Monnet a résumé sa visée politique par la formule suivante « Nous ne coaliserons pas les États, nous rassemblerons les hommes ». Cette vision de l’Europe, mise en pratique par ce qui a été appelé la démarche communautaire, l’opposait au général de Gaulle, qui était hostile à tout transfert de souveraineté et pour qui l’Europe se résumait à la France et à l’Allemagne. Le reste pour lui ne comptait pas. Les auteurs montrent que les choses n’ont pas ou peu changé et ils ajoutent à la page suivante Jean Monnet avait raison. Seul le rassemblement des citoyens peut empêcher le déchirement de la rivalité des États. Ce qui n’est pas encore réalisé au niveau européen, pourra-t-il l’être au niveau mondial dans l’affrontement des diversités culturelles et des volontés hégémoniques ? Ainsi, mon espérance est fortement teintée de pessimisme face à cette gigantesque Tour de Babel, sans normes et valeurs reconnues par tous. Une Tour dans laquelle les États, les cultures, les civilisations, les religions … tentent d’affirmer leur supériorité aux dépens des autres. Et d’une manière surprenante, sans le consensus des citoyens ou pire encore sans la conscience des citoyens de devoir agir, même dans des pays démocratiques. C’est dans cet esprit que j’approuve totalement l’opération qui vient d’être mise en place au Luxembourg, 2030.lu Ambition pour le futur, car elle s’efforce d’entendre, d’éclairer et de responsabiliser toutes les personnes qui vivent et/ou travaillent au Luxembourg. J’invite nos lectrices et nos lecteurs de ne pas s’assoupir dans les torpeurs de l’été.

 
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