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Essais sur la vérité  
12 juillet 2013

X Et maintenant !

 Bernard Baudelet

Je vous suggère cher Mathias de conclure cette série d’essais en regards croisés, non plus par des dialogues comme ce fut le cas dans les essais précédents, mais par deux interventions successives au cours desquels chacun de nous tentera de répondre à l’injonction « Et maintenant ! »

Avant d’aller plus loin, je tiens à te dire bien cher ami toute la joie que j’ai ressentie de te découvrir au tréfonds de ton être au cours de nos échanges. Chers lectrices et lecteurs, vous avez remarqué que je viens d’oublier le vouvoiement utilisé dans nos précédents essais. En fait, le vouvoiement avait pour objectif de rendre plus sérieux nos échanges, alors que nous nous tutoyons depuis notre première rencontre. Le « vous » permettait également de faire croire que la distance qui nous sépare est grande, trop grande pour dire « tu ». En effet, pour beaucoup de nos lectrices et de nos lecteurs, il n’y a pas de convergence possible entre toi, le prêtre disciple de Jésus Christ, théologien de surcroît et moi, le scientifique, alter-croyant sur un chemin humaniste, attiré par les spiritualités de l’Occident à l’Extrême-Orient [1], bien que convaincu que Dieu n’est pas [2]. En fait, ceux qui nous ont suivis ont bien vu que nos chemins de vie, ne sont qu’apparemment éloignés. Ce sont des chemins de personnes qui espèrent vivre en authenticité, avec une place pour le doute car aucune foi n’est démontrable. Chacun de nous tente de rester fidèle à ses engagements, ce qui n’exclut pas de prendre quelques libertés avec les raideurs dogmatiques, religieuses ou non. Jusqu’à ma mort et même dans les affres de la peur de la mort lorsqu’elle sera toute proche, j’espère ne faire aucun pari en retournant ma veste.

Toi et moi, nous sortons renforcés de ce long parcours, ta foi a grandi et ta fidélité à tes engagements s’est renforcée, tu l’as souvent déclaré par écrit et lors de nos partages de réflexions. Je ne doute pas que tu exprimeras ton regard sur notre travail en commun. Sortir renforcé, ce n’est pas de l’obstination orgueilleuse, c’est simplement demeurer cohérent avec soi-même. Mathias Schiltz, tu es désormais une des racines de ma vie, j’ai grandi à ton contact et je ressors armé de plus de courage pour poursuivre ma voie d’épanouissement, malgré les efforts inévitables. En effet, avoir la conviction que Dieu n’est pas, est lourd de conséquences comportementales, avec aux deux extrêmes la jouissance ou la sagesse. Je continue de m’ouvrir à la sagesse. C’est ma vérité et non pas la vérité, c’est mon chemin de vérité. Ceci ne signifie que ma vie soit totalement sereine. Comme André Comte Sponville, j’explore une spiritualité dans l’immanence, en m’efforçant d’accueillir les joies et les peines de toute vie, sans exploser de bonheur ou crier ma souffrance [3]. En fait, lui et moi sommes marqués par l’enseignement du Bouddha sur les Quatre Nobles Vérités qui tendent à l’équanimité [4]. A ceux qui seraient gênés par le Bouddhisme, je recommande de nouveau la lecture attentive d’un livre à l’esprit occidental et surtout de faire les exercices recommandés dans un CD joint [5]. Cet ouvrage permet d’accueillir le cinéma intérieur qui nous agite au point de ne plus en sortir, d’être incapable de toute ouverture, hormis à soi-même, l’égocentrisme absolu triomphe dans ce cinéma intérieur. Alors, les émotions véhiculées par ce cinéma se stabilisent et même régressent un peu, la paix de l’esprit et du cœur apparaît. Comme monsieur Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir, depuis plusieurs décennies, j’avais mis au point une pratique personnelle de méditation que je nomme Entrer en silence, très semblable à celle proposée dans ce livre, sans toutefois aller aussi loin que l’auteur. « Tous les chemins mènent à Rome », parait-il ! C’est pourquoi, je voudrais citer le livre Apprendre à faire silence, du bénédictin allemand Anselm Grün sur le silence à la rencontre de Dieu, publié il y a plus d’une une vingtaine d’années et aujourd’hui épuisé [6]. Si vous êtes alter-croyant comme moi, il vous suffira de remplacer dans ce texte Dieu par « nos frères en humanité », l’autre, les autres. En effet, c’est la même voie : rencontrer Dieu, le Tout autre, et les autres

Au terme de cette longue série sur La vérité, en conclusion finale ou plus précisément en témoignage d’espérance, je tiens à parler de l’avenir du Luxembourg car je porte un grand intérêt à ce pays dans lequel je compte de nombreux amis très chers. Afin de ne pas apparaître comme un Français, souvent considéré, non à tort, comme un donneur de leçons, je voudrais profiter de cette opportunité pour interpeller Marc Wagener, Conseiller en affaires économiques à la Chambre de Commerce du Luxembourg et Coordinateur général de l’opération l’initiative « 2030.lu – Ambition pour le futur ». Je me réjouis qu’il ait accepté de répondre à mes trois questions relatives à cette opération qui m’apparaît particulièrement opportune pour l’avenir de ce pays dans lequel est publiée cette série. Nos lectrices et nos lecteurs, retrouveront dans ses réponses, non pas des propos inspirées des échanges entre mon ami Mathias Schiltz et moi, ce qui nous gonflerait d’orgueil, mais en fait de fortes convergences, ce qui nous réjouit. Ses réponses devraient permettre de mettre au grand jour l’importance de cette initiative, pour tous ceux qui ont peu suivi leurs travaux et pour les inciter à s’engager à la suite de beaucoup d’autres, dans cette dynamique citoyenne d’avenir.

La totalité de cette interview est publiée sur internet dans le cadre de l’essai X, ainsi que la courte présentation de l’initiative : « 2030.lu - Ambition pour le futur » rédigée par Marc Wagener.

 Mathias Schiltz

Tu te rappelles, cher Bernard, qu’à la fin de notre séjour à Clervaux au mois d’octobre de l’année passée, le Père Abbé nous a demandé en souriant : « Alors, qui a converti qui ? ». Nous avons répliqué que tel n’était pas notre propos. Et je crois pouvoir dire que nous avons mutuellement tenu promesse. Nous sommes tous les deux restés fidèles à nos convictions.

Mais je pense qu’il y a néanmoins eu une conversion dans le sens que Sebastian Painadath donne au terme de metanoia en l’interprétant comme un dépassement, comme le fait d’aller au-delà pour rencontrer l’autre, l’alter-croyant, pour essayer de le comprendre, de le connaître en profondeur, de discerner des convergences et de découvrir un terrain d’entente à partir duquel un engagement commun pour la paix, la justice, la fraternité et l’égale dignité de tous les êtres humains, particulièrement des plus démunis, est possible.

Dans cette démarche, la communication est importante, et nous y avons, depuis notre premier contact, consacré beaucoup de temps, d’échanges, de téléphones et de courriels, de rencontres lorsque tes séjours à Luxembourg le permettaient. J’y ai appris beaucoup de choses, sur la vérité en sciences, sur les religions et les sagesses de l’Est asiatique, domaines dans lesquels j’étais passablement ignare auparavant. Grâce à toi, cher Bernard, mon horizon s’est considérablement élargi.

Mais le plus grand bénéfice que je retire de cette initiative d’essais en regards croisés, c’est d’avoir fait la connaissance de l’homme Bernard Baudelet, d’avoir gagné sa confiance et son amitié dont tu sais à quel point elle est réciproque. À ce niveau, un autre dépassement a été capital : nous avons transcendé la communication verbale pour entrer en silence. Les temps de silence commun que nous nous sommes accordés nous ont rapprochés l’un de l’autre plus que tout le reste. C’est dans ce silence, dont tu fais l’éloge avec Anselm Grün, qu’a pu germer entre nous, au-delà de nos convictions divergentes, une espèce de connivence, de complicité et, ce qui plus est, une profonde concorde au plan humain. Je me suis demandé plus d’une fois comment cela est possible. Et je conclus qu’entre les individus que G. F. Leibniz (1646-1716) a considérés comme des monades, il doit y avoir néanmoins une espèce de fluide qui les raccorde. Tu ne m’en voudras pas, cher ami, d’y voir encore, sans vouloir te récupérer, l’action de l’Esprit.

Dans ces essais j’ai à plusieurs reprises cité le mot de William Shakespeare What a piece of work is a man ! Tu permettras à présent que j’applique cette parole à toi. Car au terme de ces échanges j’en arrive à deviner l’effort qu’il t’en a coûté pour élaborer tes convictions philosophiques et éthiques et construire ta personnalité en conséquence et en cohérence avec celles-ci. Lorsqu’à l’âge de tes 27 ans le mur de la foi s’est effondré pour toi (vois essai II), tu aurais pu opter pour la voie facile du carpe diem, mais tu as fais le choix de l’humanisme le plus exigeant. Tel Albert Camus tu considères qu’il n’y a pas de bonheur si ce n’est la simple harmonie entre un homme et la vie qu’il mène. Avec son docteur Rieux tu as tout simplement choisi d’être un homme, au sens fort et noble du terme, un homme solidaire de toute l’humanité et coresponsable de son destin dans un monde uni. Face à la situation présente de ce monde tu n’hésites pas à rejoindre Stéphane Hessel dans son indignation, sans oublier cependant avec Camus que le seul devoir, c’est d’aimer.

Cher Bernard, ton parcours dont j’ai pu prendre conscience au fur et à mesure de nos échanges suscite, tu le sais, mon profond respect et mon amicale admiration, pour ne pas utiliser le terme d’émerveillement qui nous est cher. Oui, je suis émerveillé et heureux de te savoir serein, dans l’équanimité.

J’ai, certes, pu rencontrer au fil de mes lectures ou de mes études des hommes et des femmes faisant profession d’athéisme, d’agnosticisme ou d’alter-croyance comme tu dis. Et sur le plan professionnel ou au niveau de l’amitié, voire de certains combats communs, il me fut donné plus d’une fois de croiser des représentants en chair et en os de ce type d’humanité qu’on désignait dans mes jeunes années du terme d’honnête homme qui est synonyme pour moi du qualificatif de « juste » au sens fort que ce terme connaît dans les livres de la Bible juive et au Mémorial de Yad Vashem à Jérusalem. Mais jamais auparavant je n’avais eu la possibilité de pénétrer dans l’intériorité de ces personnes et de suivre leur cheminement au point où tu me l’as permis jusqu’à me faire découvrir les tréfonds de l’homme que tu es : Je suis un homme de foi en l’humain dans le cadre de ma culture chrétienne éclairée par l’homme Jésus que j’aime. Dans ses pas, je m’efforce d’aimer, de pardonner et de solliciter le pardon de ceux que j’ai offensés. Mon chemin de vie dans ma foi humaniste m’incite à m’émerveiller des phares connus et inconnus de notre humanité de toutes les traditions spirituelles et non pas forcément religieuses, à œuvrer modestement en faisant le peu qu’on peut, …, à rechercher la transcendance dans l’immanence (Essai VI).

Tu sais que je partage largement cette foi humaniste qui est le fondement commun de nos échanges, tout en maintenant qu’il y a pour moi un plus. Et ce plus, tu me l’attestes ci-dessus, s’est renforcé au fil des nos échanges. Dans une confrontation, si amicale soit-elle, il faut s’assurer de ses arrières et de ses racines. Oui, ma foi a grandi, elle s’est affermie et approfondie au fil de nos échanges. Le premier bénéfice que j’en ai tiré à ce niveau, c’est une nouvelle approche de la voie mystique, quelle que soit ta méfiance à cet égard. C’est pour une bonne part le fruit de notre expérience commune du silence. Avec Jean Vanier (Lettre de Pâques 2013), je peux dire que je me sens de plus en plus attiré par la prière silencieuse. Et, sans doute dans la foulée, j’ai (re)découvert l’action de l’Esprit Saint, le parent pauvre de la tradition latine du christianisme. Il est vrai que j’avais déjà acquis une certaine familiarité avec lui grâce à mes contacts avec l’Orthodoxie et ma fréquentation des liturgies orientales. Mais j’étais loin de deviner la présence et l’action universelles de Celui qui souffle où il veut et remplit l’univers. Plus que jamais il est le souffle de ma vie.

Fort de ce potentiel d’universalisme et sur la base de nos convictions humanistes communes, je suis prêt à affronter avec toi et toutes les personnes de bonne foi qui voudront bien nous rejoindre, les défis du temps présent. En toute modestie, cependant, en faisant le peu qu’on peut, et en nous associant de prime abord, comme tu le suggères, aux recherches de l’initiative “2030.lu – Ambition pour le futur“.

[1Un merveilleux livre vient de paraître. Il illustre les manières d’exprimer sa foi par des liturgies, des monuments, des regards intériorisés. En effet, depuis des millénaires, les religions de toute notre planète proposent aux hommes des réponses aux mystères de son existence. Ce livre montre combien l’imagination est stimulée quand il s’agit d’entrer en relation avec l’invisible. Son titre est Empreintes du sacré, ses auteurs sont Ferrante Ferranti et Olivier Germain-Thomas, il a été publié aux Éditions de La Martinière en 2012.

[2Dans le numéro du Monde des Religions de février 2013, il est précisé que 84% de la population mondiale est religieuse. Il serait grave avec notre esprit dualiste occidental de conclure que 84% de la population croit en l’existence d’un dieu.

[3La vie, même inquiète, est plus précieuse que la sérénité. C’est pourquoi nous faisons des enfants. Aimer le bonheur ? N’importe quel crétin en est capable. Aimer la sagesse ? N’importe quel philosophe en est capable. Le difficile est d’aimer la vie telle qu’elle est, telle qu’elle passe, heureuse ou malheureuse, sage ou pas – et aucune bien sûr ne l’est en entier. « Se moquer de la philosophie, disait Pascal, c’est vraiment philosopher. » Se moquer de la sagesse, c’est la sagesse vraie (extrait de la chronique d’André Comte Sponville dans le numéro de février 2013 du Monde des religions)

[4L’équanimité est une disposition de détachement, à l’égard de toute sensation ou évocation agréable ou désagréable. Tous les livres traitant du Bouddhisme consacrent un grand espace aux Quatre Nobles Vérités, un fondement important de ce chemin de spiritualité vers l’équanimité.

[5Méditer Jour après jour, publié par Christophe André aux Éditions L’Iconoclaste en 2011. Méditer, ce n’est pas se couper du monde, mais au contraire se rapprocher de lui pour le comprendre, l’aimer et le changer. C’est aussi un moyen, accessible à tous, de cultiver la sérénité (extrait de la 4è page de couverture).

[6Dans le silence, il s’agit de se dépouiller de toutes les images et pensées afin qu’elles ne barrent pas la route de Dieu jusqu’à nous. Si nous renonçons à nos propres pensées et si nous laissons agir le Dieu que nous méditons, nous donnons à Dieu la possibilité de naître en nous. En chacun de nous, il y a un lieu où le silence est total, affranchi de toutes les pensées bruyantes, des soucis et des désirs. C’est le lieu où nous sommes nous-mêmes tout à fait conscients. Ce lieu, qui n’est troublé par aucune pensée, est pour Maître Eckhart ce qu’il y a de plus précieux dans l’homme ; c’est le point où peut se produire la véritable rencontre entre Dieu et l’homme. Nous devons pénétrer jusque dans ce lieu de silence. Nous n’avons pas à l’instaurer ; il est là, seulement recouvert par nos pensées et nos soucis. Si nous déblayons ce lieu de silence, nous pouvons rencontrer Dieu, tel qu’Il est. Nous ne tenons plus à nous-mêmes ni à nos pensées, mais nous nous oublions totalement et nous nous laissons conduire dans le mystère de Dieu. Nous ne prescrivons pas à Dieu la façon dont il doit nous rencontrer, mais nous sommes ouverts à sa venue, telle qu’il l’a projetée. Même si nous libérons ce lieu de silence, nous ne pouvons pas extorquer l’expérience divine. Nous pouvons tout au plus ressentir notre vacuité et notre obscurité. Mais nous sommes disponibles à la venue de Dieu.

 
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