On croit venir simplement assister à un concert mais Les Chantres du Thoronet, du nom de l’abbaye à l’acoustique exceptionnelle où l’ensemble vocal est né, sont bien davantage. Grâce à Christophe Unkelhäusser, qui a mis sur pied le festival Odo Sonoritas, c’est la troisième fois que Damien Poisblaud et ses chanteurs viennent proposer au public du Luxembourg une plongée dans le grégorien des origines. Au programme de ce mardi 18 novembre, des manuscrits de l’abbaye de Saint-Gall, qui évoquent Marie au cœur de Noël. « Marie est apparue très tôt aux chrétiens comme la condition de possibilité, la toile de fond de la Nativité, le trône de la Sagesse. Il était donc bien naturel que l’office de Noël accordât une place de choix à la Mère de Dieu, explique Damien Poisblaud, chef de chœur de l'ensemble vocal Les Chantres du Thoronet et professeur de musique. Ainsi, entre le temps de l’Avent et Noël, une dizaine de répons de matines et autant d’antiennes de l’office chantent la gloire de la Vierge Marie. »

Interprêter les neumes pour revenir au son des origines

Pendant un peu plus d’une heure, les voix des quatre Chantres se sont élevées dans le cœur de l’église de Stolzembourg. Les basses résonnent, vibrent, pénétrant physiquement les corps des auditeurs, tandis que les notes plus claires s’envolent joyeusement sous la voute. La méditation s’impose. Bien loin de l’interprétation habituelle du grégorien, on pense aux polyphonies corses, aux chants de la Divine Liturgie orthodoxe, à ceux de l’église chaldéenne ou encore aux mélopées juives. Et pour cause : « le chant grégorien, explique Jean Delobel, qui chante également comme basse dans le chœur de l’Opéra de Toulon, prolonge la prière du Christ qui chantait les psaumes. En effet, l’Évangile rapporte : Après avoir chanté les psaumes, ils sortirent pour aller au mont des Oliviers (Mt 26,30 ; Mc 14,26). Jésus lui-même a donc chanté les psaumes lors du repas pascal, au cœur de la liturgie juive domestique. Ainsi, le chant grégorien prolonge cette prière de Jésus : l’Église y prie en Lui, avec Lui et par Lui, unie au Fils unique qui est Dieu, entrant dans la louange qu’Il a accomplie et menée à sa plénitude en tant que Verbe incarné. » Soudain la musique entre dans une autre dimension et l’on comprend pourquoi le silence qui se fait dans l’église entre deux répons est si plein de prière et de Présence.

Mais comment se fait-il que le grégorien des abbayes, comme celui de Clervaux, par exemple, lui aussi magnifique, est si différent de ce qui s’est fait entendre ce mardi soir ? Tout repose sur les indications portées sur le texte latin des manuscrits médiévaux, de petits signes appelés neumes. Nous devons la redécouverte des neumes aux travaux historiques, voire archéologiques, menés par l’abbaye de Solesmes. Les redécouvrir est une chose, les interpréter en est une autre. « C’est le degré d’interprétation des neumes qui différencie notre grégorien de celui de Solesmes, explique Jean Delobel, celui de Solesmes est caractérisé par une tessiture souvent très haute, des sons principalement produits dans les résonateurs de la tête, donnant une couleur éthérée. De notre côté, nous recherchons la richesse des différents modes proposés par le système modal. » Si vous voulez en savoir plus sur ces aspects techniques, Damien Poisblaud a mis en ligne des explications très claires sur le site Internet des Chantres.

Quand le grégorien rencontre Laudato si'

Les Chantres du Thoronet ne sont pas pour autant des musicologues de laboratoire uniquement intéressés par leurs recherches. Ils sont au contraire des chrétiens fervents, engagés pour changer le monde. Leur musique ne se conçoit qu’à l’abri d’une chapelle ou d’une église, dans la maison du Seigneur. « Le grégorien ne se chante pas dans une philharmonie ou un auditorium, remarque François Nolle, chanteur. C’est une musique qui porte un texte. » Et ce texte est une prière qui engage à l’action. C’est ainsi que le même François Nolle a participé à la création du éco-hameau Laudato si’ de La Bénisson-Dieu, du côté de Lyon, en France. Un regroupement de foyers, familles et célibataires, désireux de vivre en commun tous les aspects de l'écologie intégrale puis de faire rayonner leur mode de vie dans le reste de la société. Pour cela, plusieurs axes : une ferme en permaculture, avec innovation agricole et réinsertion professionnelle de personnes en difficulté ; un jardin participatif adossé à une épicerie associative et solidaire ; une école promouvant le soin donné à la nature et permettant l'accueil d'enfants autistes en milieu scolaire normal. Enfin un projet artistique et culturel à l'abbatiale de La Bénisson-Dieu, notamment par la redécouverte du chant grégorien des premiers siècles, pour retrouver une écoute plus ajustée du son, des intervalles naturels et de la parole.

Nous vous le disions en commençant, les Chantres du Thoronet, c’est une aventure bien au-delà du concert.

Les Chantres du Thoronet ont reçu plusieurs prix pour leurs enregistrements. En 2026 sortira celui des Ténèbres du Vendredi saint à l'abbaye de Fontfroide. 

La musique contemporaine répond au grégorien

En deuxième partie, Aneta et Marcin Wierzbicka ont créé pour Odo Sonoritas une pièce de musique contemporaine : Musica enchiriadis denuo repertus. Aneta, soprano et violoniste, et son mari Marcin à l’orgue, ont offert à l’assistance une quinzaine de minutes innovantes accompagnées de lumières changeantes sur les murs de l’église : sons électroniques tour à tour doux et intenses, cordes frottées, notes vocales d’une pureté remarquable…