
Sœur Clara-Martine : « Écouter son cœur et se faire confiance »
Pour discerner sa vocation, un bon accompagnateur, respectueux de la personne, est essentiel (dossier "vocations" 2/5).
Il faisait gris, humide et froid, en ce mercredi matin de Pâques. Le Pape venait de mourir, Monseigneur Jean-Claude Hollerich, cardinal-archevêque de Luxembourg, s’était envolé pour Rome, le temps de l’Église semblait suspendu. Mais, dans l’attente, la vie continue, et j’avais rendez-vous au monastère bénédictin d’Hurtebise, en Belgique, à une heure de route au nord-ouest de Luxembourg. Une religieuse m’ayant introduite dans un parloir, je m’installe. Et soudain, dans un éclat de rire, un soleil est entré dans la pièce, en la personne de la novice que je venais rencontrer. Luxembourgeoise, sœur Clara-Martine a longtemps travaillé pour l’Église qui est au Luxembourg, avant de tout lâcher pour choisir une vie contemplative. Elle n’aime pas beaucoup les interviews, ni les photos, mais a accepté notre conversation, « car il est important de témoigner ».
Sœur Clara-Martine, à quoi ressemblait votre ‘vie d’avant’ ?
Sœur Clara-Martine. J’ai fait des études d’Espagnol à Nancy, des études de théologie à Metz. Après mes études, à partir de 2005, toute ma vie professionnelle a été au service de l’Église. J’ai été assistante pastorale pendant cinq ans, puis dix ans au service de l'oeuvre du Carême qui s’appelle aujourd’hui Fondation Partage Luxembourg. J’ai enfin été aumônier et responsable de l'équipe de pastorale des malades au Centre Hospitalier Emile Mayrisch (CHEM) à Esch-sur-Alzette. J’ai beaucoup aimé mes différents postes. Mon travail avait du sens, notamment chez Partage, où le résultat du travail de nos partenaires était visible sur le terrain : les conditions de vie de beaucoup de bénéficiaires ont été radicalement améliorées. Mais aussi à l'hôpital, j'ai pu vivre des moments humainement très forts en accompagnant des personnes en fin de vie ou en psychiatrie. Pourtant je ressentais un manque de plus en plus grand. Quel que soit mon poste, je me suis toujours sentie assez rapidement ‘pas à ma place’. Je restais parce que je ne trouvais pas de raison objective qui aurait expliqué mon ressenti.
Vous avez aujourd’hui 45 ans, vous êtes lumineuse, visiblement heureuse, sereine et très gaie. Comment expliquez-vous qu’il ait fallu si longtemps pour discerner votre vocation ?
Cette question tourne dans ma tête et je n’ai pas vraiment de réponse. Tout était déjà là il y a vingt ans, pourquoi n’ai-je pas compris ? Mon engagement auprès des personnes dans le besoin, que ce soit chez partage.lu ou à l'hôpital, a toujours été profondément enraciné dans ma foi, mais l’idée de la vie contemplative ne m’est jamais venue à l’esprit. Dans le rétroviseur, je dirais que le besoin absolu de silence, de solitude, de cette confiance en Dieu seul étaient présents dans la sensation de ne pas être à ma place. Mais il m'a fallu cheminer pour oser faire confiance à cette petite voix du Seigneur qui m'appelle inlassablement à sa suite dans une vie tout autre.
Puis, les jours où je regrette de ne pas être arrivée 20 ans plus tôt, je me dis que dans la vie monastique, on se dépouille petit à petit de tellement de choses, de relations, d'attitudes et de contrôle. Peut-être me serais-je enfuie si j’étais venue plus tôt !
Pourquoi avoir choisi le monastère bénédictin d’Hurtebise ?
Sur mon itinéraire de discernement, j’ai pris une année sabbatique. Je suis partie le 1er août 2020 et j’ai fait partie de la communauté de Quartier Gallet, à Beauraing. Nous vivions une très grande pauvreté, la proximité avec la nature, les offices, la vie communautaire. Ces éléments étaient les balises essentielles pour la suite et m'orientaient vers Saint Benoît. Mais le Covid m'a finalement assez vite forcée à revenir au pays où je suis restée bloquée par les circonstances. Les franciscaines de Belair m'ont alors permis de vivre chez elles pour continuer mon discernement, elles m'ont beaucoup soutenue, je leur suis très reconnaissante. La suite du discernement était compliquée, avec les frontières qui étaient fermées. Au lieu de pouvoir découvrir différents lieux et communautés en direct, j'étais cantonnée à des sites internet, des vidéos de communautés et des e-mails. J’ai trouvé le site du monastère d’Hurtebise et plusieurs choses m’ont interpellée. D’abord le mot « écoute », si important dans la règle de saint Benoît et dans mon cheminement personnel, m’a sauté à la figure. Puis, le fait qu’elles n’indiquaient pas de limite d’âge pour entrer, en disant « qui sommes-nous pour imposer des limites au Saint-Esprit ? ». Tout s’est arrangé facilement, malgré les restrictions liées au Covid, et j’ai pu aller y passer une journée et rencontrer la mère prieure et la sœur hôtelière. En rentrant, pendant trois jours je n’ai pas pu dormir tellement j’étais heureuse. Enfin des gens comme moi ! J’y suis retournée le dimanche des Rameaux 2021 et je suis restée jusqu’à la fin de mon année sabbatique, pour un stage de finalement 4 mois. Quand l'année sabbatique s'est terminée et que j'étais contrainte de retourner dans cette vie où je n'étais pas à ma place, c'était le drame pour moi, mais cela ne suffisait pas pour que je comprenne. J'attendais un signe éclatant de confirmation, j'oubliais que le Seigneur n'est pas dans la tempête, mais dans la brise légère et qu'il nous laisse libre… En absence de signe évident à mes yeux, je pensais donc que je m'étais trompée et que le Seigneur voulait que je reprenne un travail au service du diocèse et celui-ci m'a proposé l'aumônerie du CHEM.
Mais très vite je ressentais de nouveau le besoin de me retirer dans le silence et je suis allée en Allemagne, chez les dominicaines d’Arenberg. En voyant la communauté au complet en habit, j’ai éclaté en sanglots, tellement la communauté d'Hurtebise et la vie monastique me manquaient. Je comprenais alors que je ne m'étais pas trompée du tout et que le chemin était bien à Hurtebise.
Pourtant vous n’êtes entrée que l’année dernière. Que s’est-il passé entre votre lettre demandant à entrer au monastère et votre arrivée concrète ?
Quand on entre dans la vie religieuse après quelques années d’étude, sur le plan matériel c’est assez facile. Mais dans mon cas j’avais un travail, un emprunt, toute une vie civile à clôturer. Ma maison, par exemple, a été très longue à vendre en raison de la hausse des taux d’emprunt. Ce sont des choses très matérielles qui me retenaient, mais intérieurement tout était clair. Je n'aurai pas pu tenir ces années sans la conviction profonde d'être attendue par le Seigneur à Hurtebise.
À quoi ressemble votre vie aujourd’hui ?
La journée commence à 6 heures par les vigiles et l’oraison personnelle. Puis les laudes à 8 heures suivies du petit-déjeuner. Le travail commence à 9 heures 30, puis l'étude à 10h45 jusqu’à l’office du milieu du jour. Après le repas de midi, puis nous avons un temps de sieste. Nous reprenons le travail de 14 heures 30 à 16 heures 30. À 16 heures 45 nous disons les vêpres et nous avons ensuite un temps de lectio divina jusqu’au souper. Les repas sont pris en silence, les repas de midi et du soir sont pris en commun et nous écoutons une lecture. Le midi il s'agit d'un livre spirituel, théologique ou d'intérêt commun ; le soir c'est un article de la presse ou la newsletter des monastères de notre congrégation. Un temps communautaire précède les complies, à 20 heures 15, et le grand silence de la nuit. La vie dans un monastère bénédictin est la plupart du temps en silence. Ce silence est la place dont j'ai besoin pour vivre en profondeur avec Dieu. C'est cela qui faisait que je me sentais étrangère au monde avant. Cette partie de moi devient visible maintenant qu'elle est marquée par l'habit. Je ne me suis jamais sentie moins déguisée que maintenant. Ceci dit, cela sonne idyllique, mais le silence et la solitude sont souvent un combat, même si on en a vitalement besoin, l'être humain fait quand même souvent tout pour les fuir ….
Quel impact avez-vous aujourd’hui sur le monde ?
On pourrait croire que c'est un choix égoïste, car à première vue, on n'apporte rien au monde, on ne travaille pas dehors, on ne parle pas, on ne quitte que rarement le monastère.
Mais le monastère accueille beaucoup de groupes et de personnes individuelles. Nous avions soixante personnes à l’hôtellerie pour le Triduum pascal. Je vois donc l’effet sur les autres de notre fidélité à notre mode de vie en profondeur, à notre silence, à notre prière.
Les monastères sont une source de paix pour les gens, pour leur permettre, quelle que soit leur mission, d’apporter leur pierre au changement du monde. Hurtebise est une oasis dans le désert du monde actuel. Et je me sens bizarrement bien plus utile ici que jamais avant dans ma vie alors que les postes que j'ai occupés étaient dédiés à une aide très concrète sur le terrain.
Quels conseils donneriez-vous aux jeunes qui discernent leur vocation ?
Je dis aux jeunes : écoutez votre cœur et faites-vous confiance !
Puis, un bon accompagnateur, respectueux de la personne, est capital pour avoir un autre regard. Souvent il est difficile de se faire confiance et un témoin aide à voir le fil rouge de nos vies. Il faut relire ce que l’on vit pour comprendre.
Sans voir le diable partout, il faut faire très attention à la personne que l’on choisit pour l’accompagnement car pour laisser la place au Seigneur, il faut se rendre vulnérable et fragile. Un point essentiel est de ne jamais perdre sa liberté. Au moment où l’on ne se sent plus libre, c’est que l’on est déjà dans une dérive. Je me suis toujours sentie totalement libre avec mon accompagnateur. Et enfin les jeunes doivent garder à l’esprit que le Seigneur n’a pas pour but de nous faire souffrir et il ne faut pas chercher la souffrance. Quand elle est là, il faut la vivre avec le Christ et le Seigneur sait s’en servir, mais il ne faut pas se l’imposer, ni se la laisser imposer par un tiers. Il faut rester lucide, ou comme le dit sœur Véronique Margron, la présidente de la Conférence des Religieux et Religieuses de France (Corref), il faut « espérer les yeux ouverts ».
Nombreux sont ceux qui regrettent la baisse du nombre des vocations sacerdotales et religieuses. Quels conseils pourriez-vous donner aux fidèles pour renverser cette tendance ?
De manière générale, au sujet des vocations, je dirais que l’Église a besoin de faire confiance au Seigneur. À partir de là, Il va tout donner. Nous sommes tellement habitués à gérer les choses que nous les faisons avant d’avoir écouté. Nous vendons nos projets au Saint-Esprit avant d’entendre ce qu’Il a à nous dire ! Alors que si nous faisons confiance, nous allons beaucoup plus loin que nous pouvons l’imaginer. Écoutons l’Esprit en profondeur et chacun trouvera sa place.
Merci d'avoir lu cet article. Si vous souhaitez rester informé de l’actualité de l’Église catholique au Luxembourg, abonnez-vous à la Cathol-News, envoyée tous les jeudis, en cliquant ici.
Gros titres
-
Celebração festiva da comunidade portuguesa na Oitava do Luxemburgo
Nossa Senhora de Fátima foi acolhida na Catedral do Luxemburgo, lado a lado com a Consoladora dos Aflitos.
-
Natalie Saracco : « sur terre, il n’y a rien au-delà de la Sainte Eucharistie »
Pour commencer l’Octave, retour sur une veillée-témoignage inspirée et décapante.
-
Ausstellung : l’urgence et la beauté
Die Ausstellung ist während der Oktav bis zum 25.Mai in der Kirche Sacré Coeur von 8:00 bis 18:00 Uhr geöffnet.
-
13 mai : Notre-Dame de Fatima
Ce soir, la communauté lusophone célèbrera sa sainte patronne. Retrouvez ici les photos et le récit des pèlerinages de l’Octave.
-
Sœur Clara-Martine : « Écouter son cœur et se faire confiance »
Pour discerner sa vocation, un bon accompagnateur, respectueux de la personne, est essentiel (dossier "vocations" 2/5).